Hora fugit - Un peu de Paris
Nous suivons maintenant un parcours très ancien, celui que suivait traditionnellement un pèlerin du moyen age à partir de la Tour Saint-Jacques en suivant l’axe le plus ancien de Lutèce, le cardo maximus: rue Saint-Martin, rue de la Cité et rue Saint-Jacques.
Nous poursuivons par la rue Saint-Martin jusqu’à la rue de Rivoli où s’élève la Tour Saint-Jacques, point de ralliement parisien des pèlerins de Compostelle.
Autrefois clocher, la tour est l’unique vestige de l’église Saint-Jacques de la Boucherie détruite à la Révolution. Elle devait son nom à la riche confrérie des Bouchers qui y officiait.
Vénérée dans toute la chrétienté, elle servait de point de départ aux pèlerins qui y faisaient bénir leur bâton de marche, le bourdon.
En face de la tour, de l’autre côté de la rue de Rivoli, les rues Pernelle et Nicolas Flamel forment une croix insolite, prolongeant le mystère qui entoure le soi-disant alchimiste. Plus prosaïquement, c’est une manière de rappeler que le libraire était aussi un bienfaiteur de l’église dans laquelle il fut enterré. La tour fut ainsi associée à des théories occultes. Mais si le passage du plomb en or requiert une certaine élévation spirituelle, ses cinquante mètres de haut en firent une tour à plomb idéale pour un fabricant de plombs de chasse en 1824.
Lors du prolongement de la rue de Rivoli sous Haussmann, la butte sur laquelle se trouvait la tour a dû être arasée. La tour fut ainsi maintenue en l’air le temps de la construction du soubassement actuel. On en profita pour aménager le square, le premier à Paris.
Entrons dans le square et allons visiter la Tour ouverte aux visites guidées généralement entre mai et novembre.
Les pèlerins peuvent obtenir un crédential au kiosque des visites de la Tour.
Au sommet de la tour, la statue de Saint-Jacques le Majeur est entourée des évangélistes representés par leur symbole : L’aigle pour Saint Jean, le lion pour Saint Marc et le taureau pour Saint Luc, l’Ange pour Saint Matthieu.
Traversons l’avenue Victoria, reprenons la rue Saint-Martin et prenons le pont Notre-Dame en face de nous et suivons la rue de la Cité qui traverse l’île.
A l’entrée du pont, derrière la Conciergerie, on peut apercevoir la flèche de la Sainte-Chapelle s’élèvant à l’arrière de l’ancien palais de justice. La chapelle du palais de Saint-Louis, construite en 1246 pour recevoir des reliques de la Passion du Christ est une merveille de l’architecture gothique. Très endommagée à la Révolution, elle fut restaurée au XIXème siècle et sa flèche complètement reconstituée. Sur notre gauche, Notre-Dame de Paris, autre merveille elle aussi complètement restaurée au XIXème siècle qui faillit disparaitre lors du terrible incendie en avril 2019 est en cours de reconstruction.
Nous prenons en face la rue du Petit-Pont qui devient plus loin la rue Saint-Jacques, une des plus vieilles rues de Paris et ancien axe romain nord-sud. Cet axe qui mène à Orléans était très emprunté par les jacquaires.
Seul le côté gauche, celui des numéros impairs de la rue du Petit Pont a gardé ses façades anciennes, dont certaines sont ornées de belles ferronneries.
Rue Saint-Jacques, nous passons à l’arrière de l’église Saint-Séverin, longtemps cachée par des maisons et dles boutiques démolies au début du XXème siècle. La photo prise par Atget en 1899 la montre ainsi cachée par les façades des vieilles maisons recouvertes d’affiches.
On se prend à imaginer qu’elle n’a pas changé quand les pèlerins du Moyen-Age venaient s’y arrêter. Mais malgré les apparences, de cette église du XIIIème siècle ne subsistent que le clocher et le début de la nef, le reste date des XVème et XVIème. Le portail du XIIIème siècle est celui d’une ancienne église de la Cité détruite au XIXème siècle que l’on a remonté pierre par pierre.
J’ai une tendresse particulière pour cette église, où j’aime toujours m’arrêter. L’intérieur de l’église est magnifique et le pilier torsadé tel un palmier déployant sa végétation de pierre est d’une infinie beauté.
Au 27 rue Saint-Jacques, sur le mur autrefois recouvert d’affiches, le cadran solaire en forme de visage a été réalisé par Dali en 1966. Sa forme évoque également une coquille Saint-Jacques en référence au pèlerinage de Compostelle que l’artiste a par ailleurs traité dans une célèbre lithographie.
La comparaison avec la photo prise par Atget rend bien compte de l’élargissement de la rue Saint-Jacques après la démolition des maisons du côté pair de la rue.
Le musée Cluny, consacré au Moyen-age et superbement bien restauré est à deux pas de la rue Saint-Jacques (passé le boulevard Saint-Germain, prendre à droite la rue du Sommerard). S’il comporte un très grand nombre de symboles jacquaires sur sa façade et dans sa cour d’honneur, c’est surtout en l’honneur de l’abbé de Cluny, Jacques d’Amboise qui fit reconstruire l’hôtel de Cluny.
Un peu plus loin au 67, rue Saint-Jacques, la maison classée a attiré le regard d’Atget, lui-même observé de derrière le rideau écarté comme peut-être le furent aussi les quelques pèlerins passant par là …
Nous entrons maintenant dans un vaste territoire consacré à l’enseignement supérieur.
C’est aussi à partir de là qu’un grand nombre de clous coquilles ont été placées le long de la rue Saint-Jacques, côté pair.
Tout d’abord sur notre gauche, le prestigieux Collège de France, né de la volonté de l’humaniste Guillaume Budé, contemporain d’Erasme et familier de François 1er . L’idée était d’avoir une institution ouverte à tous, indépendante de l’Université, afin d’enseigner gratuitement d’autres langues que le latin, tels que le grec et l’hébreu ainsi que des disciplines étendues aux sciences et aux mathématiques. Elle a gardé de nos jours la particularité d’être ouverte à tous gratuitement, sans condition d’âge ni de diplôme et sans inscription préalable.
Sur notre droite, nous longeons l’arrière de la Sorbonne. Simple collège au XIIIème siècle, du nom de son créateur Robert de Sorbon, confesseur du Roi Saint-Louis, alors lieu d’enseignement de la théologie. Lorsqu’il en devint proviseur, Richelieu decida de reconstruire la Sorbonne dont les établissements étaient alors disparates De cette époque ne subsiste que l’église choisie par Richelieu pour y être enterré. Les bâtiments d’inspiration très classique que nous voyons aujourd’hui ont été reconstruits à la fin du XIXème siècle. La tour surmontée d’une coupole est une tour d’astronomie.
Plus loin après le Collège de France, le non moins prestigieux lycée Louis Le Grand.
Nous traversons la rue Cujas où nous pouvons apercevoir au loin l’église de Saint-Etienne du Mont. Puis la rue Soufflot avec le Panthéon en perspective.
Au 151, rue Saint-Jacques, le splendide hôtel particulier Lepas Dubuisson, du nom de son architecte a été construit au XVIIIème siècle sur le terrain qu’occupait la porte Saint-Jacques de l’enceinte fortifiée Philippe Auguste.
En face, au 172, la plaque rappelle l’existence de cette porte qui au Moyen-Age ouvrait la rue Saint-Jacques vers la campagne, au milieu desquels se dressaient de nombreux monastères.
Ici, plein de coquilles ... au sol, des clous coquilles; sur la porte cochère du 169 ... et dans la pâtisserie du 177 spécialisée dans les gâteaux dits de voyage dont certains sont en forme de coquilles évidemment ...
Nous passons devant l’Institut de Géographie et l’Institut Océanographique dont la porte est surmontée d’une couronne de coquilles ... et d’un beau poulpe. Ces deux instituts font partie du petit Campus Curie, construits au début du vingtième siècle à l’emplacement du couvent de la visitation photographié par Atget avant sa démolition. L’institut de Géographie se trouve à l’emplacement de l’ancienne chapelle.
De fait, nous entrons maintenant dans une zone où se trouvaient de nombreux couvents.
Nous traversons la rue Gay-Lussac.
Au 252, rue Saint-Jacques, nous passons devant l’église Saint-Jacques du Haut Pas. Des frères hospitaliers de Saint-Jacques d’Altopascio en Toscane (ce qui a été traduit par Haut-Pas) vinrent s’éablir ici en 1180. Ils hébergeaient les pauvres, soignait les malades et accuillaient les pèlerins de Compostelle. L’église actuelle date de 1685 et son style peu décoré s’inspire de la sobriété de Port-Royal toute proche. Au XVIIIème siècle, le curé de l’église, Jean-Denis Cochin fonda un hospice pour les pauvres dans le faubourg Saint-Jacques, en face de l’Observatoire. C’est après la révolution que cet hôpital prit le nom de son fondateur et c’est encore aujourd’hui l’hôpital Cochin.
Tout de suite après l’église, au 254, nous passons devant l’institut des jeunes sourds de Paris créé initalement en 1760 par l’Abbé de l’Epée dont le nom a été donné à la rue que nous venons de traverser. L’école fut installée ici en 1794 à l’emplacement de l’ancien hôpital de Saint-Jacques du Haut pas.
Plus loin au 262, combien des habitants de cet immeuble savent-ils qu’il y avait encore une vieille ferme au début du 20ème siècle ? De fait longtemps ici dans ce faubourg Saint-Jacques, il y eut des prés et des champs avec quelques établissements religieux dont les communautés se multiplièrent au XVIIème siècle : Carmélites, Ursulines, Feuillantines, Visitandines, Bénidictines du Val de Grâce, Bénédictins Anglais.
NB : La zone à partir du 269 a été durement touchée par l'explosion du 21 juin 2023 qui a fait de nombreuses victimes. L'ancien pavillon classé de l’abbaye du Val de Grâce a été pulvérisé et l'onde de choc a endommagé les immeubles voisins.
Dans ce périmètre se trouve la Schola Cantorum, célèbre école de musique, de danse et d’art dramatique établie dans l’ancien couvent des Bénédictines. En face, un immeuble moderne à l'emplacement du couvent des Carmélites dont il ne reste que le portail de pierres. Et l'église du Val de Grâce.
L’église du Val de Grâce, dont la première pierre fut posée en 1645 par le jeune Louis XIV, âgé de six ans. Sa mère, Anne d’Autriche, avait fait le vœu d’élever un temple magnifique si Dieu lui accordait un enfant, ce qui advint après vingt-deux années de mariage alors qu’elle atteignait ses trente-six ans. A la Révolution, les Bénédictines du Val de Grâce durent quitter définitivement leur couvent transformé en hôpital militaire dont la vocation de médecine aux armées s’est maintenue jusqu’en 2016.
Le dernier de la bonne vingtaine de clous coquilles de Saint-Jacques de Compostelle trouvés le long de la rue Saint-Jacques est au croisement avec le boulevard de Port-Royal.
Nous poursuivons par la rue du Faubourg Saint-Jacques. Nous traversons le boulevard Arago et poursuivons jusqu’à la place Saint-Jacques.
Nous continuons par la rue de la Tombe Issoire. Après avoir traversé la place des Droits de l’Enfant, nous prenons la rue du Père Corentin vers la droite. Face aux numéros 63-65, nous prenons la petite rue pavée, Villa Virginie qui longe la petite ceinture. Tournons à gauche dans l’avenue du Général Leclerc pour rejoindre la Porte d’Orléans.
Pour nous, notre promenade s’arrête ici, les pèlerins en route pour Saint-Jacques de Compostelle continuent en direction d’Orléans pour encore un très long chemin.
Texte / Photos : Martine Combes
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