Hora fugit - Un peu de Paris
Par un jour gris de novembre, des amis de passage à Paris me demandèrent de leur faire découvrir une de mes promenades favorites. Je les emmenais ainsi dans une promenade par les Passages couverts, agréable en toute saison, mais idéale lorsque le temps est gris et froid. Outre l’évident confort que les galeries couvertes peuvent procurer par mauvais temps, elles dégagent chacune un charme particulier, de par leur architecture plus ou moins sophistiquée et de par leur histoire selon leur emplacement. Dès leur construction au dix-neuvième siècle, les passages couverts furent fort appréciés par les parisiens qui pouvaient ainsi circuler à l’abri des intempéries et à l’écart de la circulation. Cependant leur attraction vint à baisser avec l’apparition du métro et des grands-magasins. Certains furent détruits, comme le passage de l’Opéra si bien décrit par Aragon ou furent menacés de l’être, comme le passage du Grand-Cerf, très dégradé dans les années 80. Aujourd’hui, la plupart des Passages ont été rénovés et connaissent un certain regain auprès du grand public qui redécouvre leur histoire et leur charme.
Nous visiterons ainsi neuf passages, ainsi que par extension les galeries du Palais-Royal. La promenade est plutôt à faire en semaine ou le samedi car certains passages sont fermés le dimanche (Galerie Véro-Dodat et Passage du Perron).
Nous commençons notre promenade à la sortie de la station de métro Le Pelletier pour rejoindre la rue du Faubourg Montmartre, où nous trouverons au n° 31 le passage Verdeau.
En chemin, quelques mètres avant l’entrée du passage, arrêtons-nous devant le vieux magasin « A la Mère de Famille », la plus ancienne confiserie de Paris qui a conservé son ancienne caisse et ses comptoirs au bois patiné, ainsi que sa façade classée annonçant de multiples gourmandises. Comme le rappelle l'enseigne elle est là depuis 1761 pour le plaisir des pupilles et surtout des papilles. Pour moi, elle a le goût de l’enfance, elle est ma madeleine, au sens propre comme au figuré, car elle était la première étape du chemin que je parcourais enfant, de la rue Clauzel où nous vivions, jusqu’à la rue Saint-Marc où ma mère rendait visite à une amie.
Passée son entrée en biseau un peu sombre, le passage s’ouvre clair et haut sous une verrière laissant filtrer une douce lumière. Ce premier passage, assez simple, a gagné en charme ces dernières vingt années. Au temps de mon enfance, il me paraissait alors bien gris et poussiéreux, d’autant plus triste qu’il offrait alors un saisissant contraste avec le passage Jouffroy qui me mettait en joie. A cette époque, le passage Verdeau avait peu de boutiques, essentiellement de vieux bouquins. Je ne m’intéressais pas encore aux vieux livres qui en restent aujourd’hui une attraction, laquelle est renforcée par la présence nouvelle de marchands de tableaux, d’antiquaires, de restos et d’une charmante boutique de broderie au point de croix.
Nous traversons la rue de la Grange Batelière et entrons dans le passage Jouffroy qui ne pouvait que séduire une enfant de six ans des années soixante. Evidemment, les vitrines du musée Grévin et ses quelques statues de cire étaient une attraction insolite. Il y avait aussi un magasin de jouets gardé à l’entrée par un affreux petit bouledogue en papier mâché. Il émettait un non moins affreux aboiement rauque lorsque j’en actionnais la laisse. Puis je partais en voyage dans un vaste magasin oriental aux allures de souk. J’y déambulais, au rythme des aouds et des bendirs, m’imaginant Aladin parmi les épais tapis de laine, puis princesse devant les coffrets de bois aux incrustations de nacre débordant de lourds bijoux et de tissus bariolés.
Aujourd’hui, le passage a conservé de son charme et l’entrée de l’hôtel Chopin me donne toujours l’envie d’être une touriste de passage. Certes,les nouveaux changements que je vois à chacune de mes promenades me font ressentir une pointe de nostalgie. C’est l’effet du vent de modernité inéluctable qui souffle et raréfie les livres rares, balaie le charme d’antan d’un magasin de jouets et, enfin cerise sur le pudding, amène un Mark & Spencer un rien déplacé dans ce décor d’autrefois. Heureusement, la halte au salon de thé est un bon dérivatif à la mélancolie et il faut reconnaître que le passage encore plein de charme offre une douce et lumineuse parenthèse très en contraste avec le bruyant boulevard des Italiens.
Traversons le boulevard et entrons dans le passage des Panoramas.
Le passage triste et silencieux du temps de mon enfance, occupé dans mon souvenir par des magasins de philatélie, est redevenu vivant grâce notamment à de nouveaux restaurants. Le graveur Stern qui gravait autrefois des menus, des faire-part, des cartes de visite pour tout le gratin parisien depuis 1834 a dorénavant fait place à un restaurant de fine cuisine italienne.
On retrouve le passage des Panoramas qui communique avec le théâtre des Variétés dans le roman Nana d’Emile Zola , dont l’extrait suivant me rappelle un peu de l’émoi que je pouvais avoir enfant, mais dans le passage Jouffroy …
« Elle adorait le passage des Panoramas. C’était une passion qui lui restait de sa jeunesse pour le clinquant de l’article de Paris, les bijoux faux, le zinc doré, le carton jouant le cuir. Quand elle passait, elle ne pouvait s’arracher des étalages, comme à l’époque où elle trainait ses savates de gamine, s’oubliant devant les sucreries d’un chocolatier, écoutant jouer de l’orgue dans une boutique voisine, prise surtout par le goût criard des bibelots à bon marché, des nécessaires dans des coquilles de noix, des hottes de chiffonnier pour les cure-dents, des colonnes Vendôme et des obélisques portant des thermomètres. » Nana – Emile Zola
Prenons à gauche la galerie des Variétés, puis suivons la galerie Saint-Marc déserte qui débouche au 8, rue Saint-Marc que nous prenons à droite.
Au n° 10 de la rue, nous passons devant une autre entrée du passage des Panoramas. La haute porte cintrée photographiée par Atget a disparu, emportée par la démolition au cours du XXème siècle de toute la partie sud du passage et remplacée par une hideuse entrée surmontée de hauts immeubles.
Au n°18, nous passons devant l’hôtel qui appartint à Magon de la Balue, fermier général et banquier de la Cour sous le gouvernement de Choiseul. Ce qui nous fait une jolie transition pour rejoindre la rue de Choiseul et son passage …
Au bout de la rue Saint-Marc, nous tournons à gauche dans la rue Favart et nous traversons la place en longeant l’Opéra Comique.
En parlant de Choiseul, il y a une curieuse anecdote que j'ai lu dans un article du Monde à propos d’un étonnant vestige de l’Ancien Régime toujours entretenu dans ce beau théâtre parisien … En effet, la famille du duc de Choiseul y bénéficie depuis Louis XVI d’une loge perpétuelle ! En 1781, Louis XVI a accordé la propriété d’une loge à huit places jusqu’au dernier descendant mâle portant le nom de Choiseul … en reconnaissance du bout du parc de l’hôtel particulier de Choiseul offert à l’occasion de la construction de la Salle Favart. Loge qui pouvait être rejointe directement par un petit salon particulier communiquant avec un souterrain relié directement à l’Hôtel de Choiseul … Mais rien ne va plus pour la famille Choiseul qui n’a jamais raté une représentation ! Suite à une complète rénovation et de mises aux normes de sécurité du théâtre en 2017, la fameuse loge a été défigurée et amputée de la moitié de sa superficie par une gaine d’aération. Les Choiseul ont déjà dans le passé intenté jusqu’à sept procès qu’ils ont toujours gagnés face aux assauts du théâtre pour les déloger … Affaire comique à souhait, le théâtre va devoir trouver une solution …
Après la place prenons à gauche la rue Marivaux. Puis à droite la rue Grétry pour nous engager dans la rue de Gramont à gauche; Puis à droite dans la rue Saint-Augustin où nous trouvons l’entrée du passage Choiseul au n° 23.
Jusqu'à aujourd'hui (octobre 2024), je conseillais aux amateurs de vieilles boutiques de s’arrêter au 4 rue de Choiseul, où se trouvait la plus ancienne mercerie de Paris, restée dans son jus depuis près de 200 ans. Ce n’était pas une mercerie ordinaire, on pouvait y trouver des boutons de toutes sortes et de toutes matières, des rubans de satin et de velours qui n’ont rien à voir avec les rubans de polyester d'aujourd'hui. Ce magasin vient de disparaître suite à une opération immobilière du groupe Carac. Il y a trente ans, le magasin avait déjà failli devenir un bistro , mais cette fois-ci, c'est fini. On pourra se consoler en allant retrouver une partie des stocks sauvés dans la boutique d'en face ...
Pour nous consoler en partie, on peut s'arrêter au Café Joyeux à l’entrée du passage. Ce café n’est pas ordinaire non plus, puisqu’il embauche des personnes atteintes de trisomie ou d’autisme. Et c’est vrai, la joie règne parmi les employés, joyeux d’exercer un emploi leur apportant dignité et confiance, et parmi les clients, joyeux d’y contribuer.
Adolescente, j’avais l’habitude de venir rejoindre ma mère qui travaillait Place Gaillon et il m’arrivait donc d’emprunter le passage Choiseul. A cette époque, dans les années soixante-dix, je le trouvais un rien ringard, avec ses magasins de vêtements et de chaussures qui me paraissaient alors très démodés. Céline raconte sa jeunesse dans Mort à crédit. Le jeune Louis-Ferdinand Destouches a détesté ce passage des Bérésinas, entre la Bourse et les Boulevards, où il vécut enfant à l’étage du magasin de dentelles que tenait sa mère au n°64. Souffrant d’anémie, son médecin de famille s’exclame ainsi, avec ce phrasé caractéristique de l’écriture célinienne : « C'est pas quinze jours! C'est trois mois qu'il lui faudrait, au grand air! ... Votre passage, qu'il a dit en plus, c'est une véritable cloche infecte... on n'y ferait pas venir des radis! C'est une pissotière sans issue ... ».
Il va sans dire que cette description pittoresque n’a plus rien à voir avec le passage d’aujourd’hui, extrêmement fréquenté en semaine par ceux qui travaillent dans le quartier.
Le passage ouvert au public en 1827 a été construit sur l’emplacement de l’ancien hôtel du marquis de Gesvres, gouverneur de Paris en 1703 et qui en avait fait, dit-on, le plus célèbre tripot de la Régence. Cet hôtel avait été construit en 1655 par l’architecte Antoine Lepautre, connu aussi pour avoir réalisé le couvent de Port-Royal et l’élégant hôtel de Beauvais rue François-Miron. Il reste de son bâtiment d’entrée cette loggia à colonnes surmontée d’un fronton. Il subsiste également le corps de logis de l’hôtel, perpendiculaire au passage et dont on devine les contours à travers la verrière. Les magnifiques salons de ce corps de logis ont été complètement restaurés en 2000 par ses nouveaux propriétaires Joseph Achkar et Michel Charrière, deux décorateurs de renom qui ont rénové récemment l’hôtel de la Marine, place de la Concorde.
Sortons par le passage Sainte-Anne, sur la gauche avant la sortie du Passage rue des Petits-Champs, qui au temps d’Atget et de l’enfant Louis-Ferdinand pouvait mériter ce surnom de passage des Bérésinas.
Admirons la photo prise par Eugène Atget, une composition extrêmement graphique dont le cadrage met en valeur les lignes géométriques de la verrière.
Nous débouchons dans la rue Sainte-Anne que nous prenons à gauche jusqu’à la rue Rameau à droite pour nous arrêter au square Louvois. En chemin rue Sainte-Anne, le magasin d’épices, du chef Roellinger, mérite que l'on s'y arrête.
Après une pause dans le petit square Louvois, entrons en face dans le bâtiment de la Bibliothèque Nationale de France, qui conserve parmi sa très riche collection de documents un nombre important de photographies d’Eugène Atget. En rejoignant le hall principal, ne manquez pas la salle Ovale. Ressortez par le jardin où se trouvent en face la Galerie Vivienne et la Galerie Colbert.
La galerie Colbert construite en 1827 fut acquise en 1974 par la BNF. Son état de délabrement était tel qu’il fut alors décidé de la démolir et de la reconstruire à l’identique. Aujourd’hui occupée par l’INHA, l’Institut National d’Histoire de l’Art et par l’INP, l’Institut National du Patrimoine, elle est aussi accessible au n°6 de la rue des Petits-Champs.
Initialement, un monumental candélabre en bronze chargé de sept globes de cristal s'élévait au centre de la rotonde. Puis à la fin du 19ème siècle, la très élégante galerie tombée en désuétude fut désertée. La photo d'Atget prise en 1906 montre son état; les globes de cristal du candélabre ont disparu et des charrettes a bras y sont entreposées.
Aujourd'hui le centre est occupé par une statue de bronze Eurydice mourante ou Eurydice piquée par un serpent, réalisée en 1862 par le sculpteur Charles-François Leboeuf, dit Nanteuil. Cette statue autrefois dans les jardins du Palais-Royal fut installée vers 1980 dans la galerie Colbert lors de sa restauration.
Ressortons par la rue Vivienne pour entrer au n°6 dans la Galerie Vivienne.
Pour moi, c'est le plus beau passage couvert de Paris. Après avoir connu un énorme succès à sa création en 1826, l’élégante galerie tomba dans l’oubli au début du vingtième siècle. Elle est aujourd’hui complètement rénovée et abrite de superbes boutiques. Sa renommée attire d’ailleurs de nombreux visiteurs souvent escortés sous la houlette de guides.
Le célèbre Vidocq a habité dans l’immeuble du n°13 de la galerie et il paraîtrait qu’il pouvait rejoindre le Palais-Royal par des galeries souterraines, tel Valjean qui pouvait s’enfuir par de longs corridors souterrains. Plutôt que Valjean, je devrais d’ailleurs plutôt le comparer à l’inspecteur Javert, car l’ancien bagnard qui habitait ici en 1840, était alors devenu policier.
Escalier du 13
Galerie Vivienne
Atget – Mai 1906
(BnF)
Nous sortons par la rue des Petits-Champs où nous tournons à droite pour retrouver la rue Vivienne et prendre en face le passage du Perron par lequel nous rejoignons le Palais-Royal.
Passage du Perron, nous passons sous l’appartement que Colette a occupé tout d’abord à l’entresol, « tanière blonde blottie sous les arcades, écrasée entre l’étage noble et la boutique », puis plus tard au premier étage. Son nom apparait sur une banquette du Grand-Véfour, restaurant prestigieux du Palais-Royal où Colette eut ses habitudes jusqu’à son dernier souffle.
« Les sites anciens et historiques traînent avec eux de longues légendes, dont la plus tenace est rarement à leur gloire. Le Palais-Royal est plus célèbre d’avoir été mal famé que d’avoir bercé la Révolution. Il est vrai que Paris connait mal Paris. Le jardin lui-même n’est d’ailleurs connu, fréquenté, que par ses habitants riverains et ses voisins immédiats. Encore faut-il que ces derniers soient dotés du petit enfant ou du chien, - l’un n’exclut pas l’autre – de qui l’hygiène réclame un lieu sûr. On n’emprunte guère la largeur, la longueur du Jardin en guise de raccourcis. Le hasard et l’oisiveté sont les seuls guides du passant qui s’arrête et s’écrie : « Que c’est beau ! ».
… « majestueux édifice ensoleillé, monument qui enserre tendrement un rectangle de verdure, au centre duquel une pièce d’eau ronde tantôt brille comme un chaton de bague, tantôt élève dans l’air un bouquet de douze panaches d’argent et d’arc-en-ciel. »Trois … Six … Neuf … Colette
Du temps de Colette, dans les années quarante, mais encore celui de mon enfance, dans les années soixante, le Palais-Royal était peu fréquenté, quasiment désert le dimanche quand ma mère m’y emmenait. Je préférais donc de loin le jardin des Tuileries tout proche, plus ouvert, plus gai et plus animé. Néanmoins, je restais toujours assez fascinée devant les vitrines vieillottes des arcades où s’alignaient pipes, médailles et soldats de plomb semblant déjà remonter à une époque très ancienne. Ces magasins existent encore; A l’Oriental vend toujours des pipes sculptées et le vieux magasin Bacqueville fabrique toujours les médailles de la légion d’honneur et autres distinctions. Mais mon meilleur souvenir d’enfant est celui d’avoir vu par un beau dimanche après-midi un Don Rodrigue prendre le frais, une clope au bec, en compagnie de Chimène sur la terrasse de la Comédie Française, ceci accentuant mon sentiment d’avoir sauté dans l’espace temps une fois franchies les grilles du Palais-Royal.
Aujourd’hui, le Palais-Royal est l’attraction des touristes et des Parisiens car il combine le plaisir de marcher à l’abri des arcades le long de vitrines élégantes et de profiter du calme jardin à l’écart de la circulation. L'endroit est connu des photographes: on y voit souvent de jeunes couples prendre la pose, le plus souvent en tenue de mariés.
Beaucoup de Parisiens ont (re)découvert l’endroit il y a trente ans pour voir les fameuses colonnes de Buren si décriées ainsi que les sphères d’acier des fontaines de Pol Bury dans lesquelles se mire la belle architecture classique du Palais-Royal.
Avant d’être Royal, il fut Palais Cardinal à sa construction en 1636 par Richelieu. Puis il devint Palais Royal quand la famille royale en hérita à la mort du Cardinal. Plus tard, avant la Révolution, le duc d’Orléans, cousin de Louis XVI et futur Philippe-Egalité, fit enfermer les trois côtés du jardin par des arcades de pierre dessinées par l’architecte Victor Louis qui réalisa plus tard en 1799 le bâtiment de la Comédie Française. Les nombreux magasins, salles de jeu, cafés et restaurants ouverts dans ces nouvelles galeries connurent tout de suite beaucoup de succès. Le lieu devint également un haut lieu de prostitution notamment autour des galeries de bois qui se trouvaient à l’emplacement de l’actuelle Galerie d’Orléans entre les jardins et la cour d’honneur.
Aujourd’hui, le Palais Royal abrite le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel et le ministère de la Culture.
Si Eurydice piquée par un serpent a quitté le Palais Royal pour rejoindre la rotonde de la galerie Colbert, le charmeur de serpent, œuvre d’Adolphe Thabard est quant à lui un peu mutilé, il a perdu et son serpent et son bras gauche autour duquel s’enroulait le reptile que l'on peut encore voir sur la photo prise par Atget.
Sortons rue de Valois par le Passage des Fontaines.
Au n°8 de la rue de Valois, nous passons devant l’hôtel Mélusine, construit par Richelieu et qui devait son nom à une tapisserie représentant la fée. Remarquons l’enseigne du restaurant Le Bœuf à la Mode crée en 1792, représentant un bœuf revêtu d’un châle et coiffé d’un chapeau à plumes. On l’aura compris, jeu de mots avec un classique de la cuisine française, le bœuf mode, lentement mijoté après avoir été mariné dans du vin blanc et du cognac.
Sur la photo prise par Atget on peut voir la façade du restaurant, qui a connu de longues années de succès avant de disparaître en 1936.
Continuons par la rue de Valois jusqu’à la place de Valois à gauche puis par la rue Montesquieu jusqu’à la rue Croix des Petits-Champs où s’ouvre devant nous la galerie Véro-Dodat, au coin de la rue du Bouloi.
Je l’ai connue il y a encore quelque temps vaguement endormie et déserte. Mais sa fréquentation s’est accrue ces dernières années depuis l’ouverture de nouvelles boutiques comme celle des chaussures Louboutin aux fameuses semelles rouges.
Ce passage a été créé en 1826 par deux hommes de goût (s), les charcutiers Véro et Dodat. Avec son sol de marbre noir et blanc, ses vitrines soulignées de cuivre doré, ses devantures de bois sombre rythmées par des pilastres recouverts de miroirs, le passage semble émerger d’une ruelle vénitienne. Cette évocation de Venise cachée et secrète, façon Corto Maltese, était même plus évidente quand la galerie était moins connue et moins fréquentée. Ainsi je me souviens d’un magasin désormais disparu de poupées anciennes et d’automates ; je me souviens aussi d’une vitrine à la mise en scène équivoque et voluptueuse, avec une paire de jolis escarpins abandonnés sur un sofa rouge et d’un lourd rideau de velours protégeant l’intérieur de tout regard indiscret, évoquant les Bains du Passage de l’Opéra décrits par Aragon.
Nous allons maintenant rejoindre le quartier des Halles où se trouvent les deux derniers passages de notre promenade. Pour cela, sortons rue Jean-Jacques Rousseau que nous prenons à gauche, puis la rue du Louvre et à droite la rue Coquillère. Nous passons devant le vieux magasin d’ustensiles de cuisines Dehillerin, le seul dans le quartier à être resté dans son jus, un décor intact, dans lequel il n’est pas facile de déambuler mais qui offre un matériel de cuisine extraordinaire. Après avoir longé l’église Saint-Eustache, nous remontons la rue Montorgeuil.
Au niveau du n° 17 de la rue, nous passons devant le passage de la reine de Hongrie qui n’est pas un passage couvert et qui n’a rien à voir non plus avec Marie-Thérèse d’Autriche. Il s’agit d’un passage ouvert vers 1770 menant à la rue Montmartre et portant le nom d’une marchande des halles ayant une forte ressemblance avec la mère de Marie-Antoinette, reine d’Autriche et de Hongrie.
Tournons à droite dans la rue Marie-Stuart où s’ouvre devant nous le passage du Grand-Cerf.
Ouvert en 1825 à l’emplacement de l’hôtellerie du Grand Cerf d’où partaient les diligences des Messageries Royales vers les provinces de l’est de la France, ce passage est le plus haut de tous avec ses trois étages reliés par des passerelles.
Longtemps délaissé, il a retrouvé son âme grâce à d’heureux travaux de rénovation entrepris au début des années 1990. Déambuler le long des nombreux magasins sous sa haute et délicate verrière est très agréable.
Sortons côté rue Saint-Denis où devant nous s’ouvre le dernier passage de notre promenade.
Il fut construit en 1828 sur une dépendance de l’église Saint-Martin-des-Champs. Situé dans un quartier industrieux, il était essentiellement fréquenté par les gens du peuple qui se déplaçaient entre les rues Saint-Martin et Saint-Denis. La redécouverte des passages parisiens et son emplacement sur le débouché du passage du Grand-Cerf semble lui profiter. C’est toujours un calme passage, dont la verrière en arc de cercle laisse filtrer une douce lumière sur les boiseries claires des devantures, mais les magasins autrefois fermés à la vue des passants et servant essentiellement de bureaux ou de lieux de stockage semblent changer et devenir plus avenants.
A la sortie du passage, tournez à droite pour rejoindre la rue Turbigo où vous trouverez la station de métro Etienne Marcel.
Texte / Photos : Martine Combes
Contact / newsletter: