Hora fugit - Un peu de Paris
Nous allons commencer par le monument le plus ancien qui ait été construit à Paris, les Arènes de Lutèce, probablement construites au 2ème siècle. En partie détruites par les invasions barbares, elles furent ensevelies puis oubliées jusqu’’à ce qu’on les redécouvre en 1869 à l’occasion du percement de la rue Monge. Bien qu’elles n’aient rien de comparable avec les arènes d’Arles ou de Nîmes bien mieux conservées et de plus grande dimension, elles représentent néanmoins une curiosité ; elles sont régulièrement fréquentées par les enfants du quartier qui peuvent s’imaginer gladiateurs et par les habitués de la pétanque qui en apprécient la qualité de la piste.
Nous rejoignons ensuite la rue Mouffetard, vestige d’une voie romaine. Cette voie ancienne et étroite a perdu de son vrai pittoresque avec le tourisme mais a néanmoins gardé un certain charme.
La promenade se termine par le Jardin des Plantes créé en 1635 qui mérite plusieurs promenades pour découvrir ses jardins, ses serres tropicales et ses galeries de minéralogie, zoologie et paléontologie.
Ce demi-amphithéâtre surgit d’un Paris qui s’appelait alors Lutèce, du temps où la ville était gallo-romaine. Enterré sous les sédiments du temps et de l’oubli, il ne fut exhumé qu’en 1869 lors des grands travaux d’Haussmann avec l’ouverture de la rue Monge qui nécessita de creuser le sol jusqu’à douze mètres de profondeur. Avec ses trente-cinq niveaux de gradins faits de larges blocs de pierre polie, il pouvait accueillir quinze mille spectateurs, ce qui en faisait un important lieu de rassemblement pour les vingt-mille habitants de Lutèce !
L’été, les arènes reçoivent régulièrement des compagnies théâtrales et des concerts, et le reste du temps les joueurs de pétanque.
Sortons par la rue Monge. Prenons sur notre gauche la rue Lacépède, puis la rue de la Clef à droite que nous descendons jusqu’à la rue du Puits de l’Ermite.
Au bout de la rue Lacépède s’élevait autrefois l’ex-hôpital de la Pitié, construit en 1612 pour y enfermer les vagabonds et les orphelins. Un peu plus tard, un des bâtiments de l’hôpital fut converti en couvent destiné aux filles repenties, puis la maison de bienfaisance Sainte-Pélagie devint finalement prison, destinée aux filles débauchées. Sous la révolution, plusieurs personnages célèbres y furent enfermés : Madame Roland l’égérie des Girondins, le Marquis de Sade et le peintre Hubert Robert.
Notre promenade aux Arts et Métiers fait référence au drame de la rue Transnonain en avril 1834. Après le massacre, plus d’une centaine de conjurés furent mis en prison. Parmi eux, Auguste Blanqui, François Arago, Victor Schœlcher, Alexandre Ledru-Rollin furent emprisonnés à Sainte-Pélagie.
Les bâtiments furent désaffectés et démolis au tournant du vingtième siècle. L’hôpital de la Pitié fut alors reconstruit en 1911 près de celui de la Salpêtrière, tandis que les terrains vacants sont remplacés en grande partie par la Grande Mosquée de Paris. Inaugurée en 1926, elle fut construite en hommage aux soldats de confession musulmane morts lors de la première guerre mondiale.
Prenons à droite la rue du Puits de l’Ermite puis la rue Pestalozzi où nous tournons à droite dans la rue Gracieuse. Nous longeons à droite le sympathique petit marché Monge qui se tient le dimanche et plusieurs jours par semaine autour de la fontaine ; en face du marché, l’imposante caserne de la Garde Républicaine.
Tournons à gauche dans la rue Lacépède où Atget a photographié de vieilles cours de fermes ! Adieu, veaux, vaches, cochons, couvée … d’autres petits poussins fréquentent aujourd’hui la crèche qui a remplacé la vieille ferme.
Le charme d’antan et provincial de la place de la Contrescarpe incite à la pause que ce soit au bord de la fontaine ou à une terrasse des nombreux cafés. La place est toujours très animée, et ce depuis toujours. Voire jusqu’aux désordres, eux aussi de tout temps. Que ce soit autrefois, justifiant au 18ème siècle l’installation à proximité d’un poste de gardes françaises ou plus proche de nous, avec la fameuse affaire Benalla. La place bordée de cafés a aussi de tout temps été propice pour se poser et boire un coup ; autrefois, on allait godailler dans les nombreux cabarets dont le plus célèbre était la Pomme de Pin.
Il y a encore quelques années, de la terrasse du café La Contrescarpe à l’emplacement de l’hôtel photographié par Atget, on avait une vue directe sur l’enseigne du « Nègre Joyeux » retirée en 2018. Cette enseigne d’une époque coloniale et esclavagiste fait partie désormais de la collection des vieilles enseignes du musée Carnavalet.
Tournons à gauche dans la rue Mouffetard.
La vieille rue étroite et quasi piétonne a gardé un peu de son pittoresque, bien qu'elle soit devenue essentiellement une attraction touristique Les commerces d’alimentation ont disparu, sauf dans le bas de la rue. Elle a gardé quelque vocation nourricière avec sa succession ininterrompue de restaurants de toutes nationalités et aux qualités variées. Autrefois, les marchands étaient nombreux entre le bas de la rue près de l’église Saint-Médard et la place de la Contrescarpe : boutiques, marchands ambulants, comme ces marchandes des quatre-saisons ou ce vendeur de parapluies photographié par Atget.
Le marché Mouffetard établi au sud de la rue, tout près de l’église Saint-Médard, ouvert tous les jours sauf le lundi, est resté très vivant surtout le week-end.
Je me souviens encore du ravissement quasi extatique quand jeune habitante du treizième, j’ai découvert la Mouffe et son marché. Habituée à de nombreux marchés parisiens et à des rues commerçantes comme la rue des Martyrs où j’ai passé toute mon enfance, je ressentais rue Mouffetard une émotion particulière, un je ne sais quoi qui me ravissait. Au pied de la vieille église Saint-Médard qui lui donnait des allures d’un vieux bourg, la rue étroite et tumultueuse était remplie de victuailles, saturant l’air de leurs multiples effluves. Les marchands alignés le long des étroites maisons un peu bancales faisaient résonner la rue de leur gouaille, tout un spectacle animé que l’on pouvait continuer à savourer d’une terrasse d’un bistrot. C’était à la fin des années soixante dix, début quatre-vingt.
Le charme subsiste toujours un peu malgré la disparition croissante des commerces de bouche et l’omniprésence des boutiques et restaus destinées aux touristes.
Marchande de poissons
Rue Mouffetard
Atget – 1898
(Musée Carnavalet)
Rue Mouffetard
Marchand de paniers
Atget – 1898/1900
(BnF)
Nous arrivons au niveau de la rue du Pot-de-Fer où en 1928 Georges Orwell passa une année de dèche dans un hôtel meublé :
« Les cloisons avaient l’épaisseur du bois d’allumette et, pour masquer les fissures, on avait plaqué des épaisseurs successives d’un papier peint rose qui se décollait par pans entiers et servait de refuge à une quantité fabuleuse de punaises ».
En son temps, une grande partie du quartier était très vétuste et de très mauvaise réputation:
« La nuit, les agents de police ne s’aventuraient jamais qu’à deux dans cette rue. »
Au coin de la rue, la fontaine fut mise en place en 1624 lors de la construction de l’aqueduc Médicis (cf : Regard et maison du Fontainier promenade Montparnasse).
De même que pour la rue Mouffetard, les restaurants et leurs terrasses longent toute la rue du Pot-de-Fer, aujourd’hui moins lugubre qu’à l’époque d’Orwell …
Au niveau du 69, rue Mouffetard, une horrible enseigne très grossière a remplacé l’originale, qui était bien plus finement et joliment sculptée. Il est dit qu’elle avait été réalisée en 1592 à partir du bois d’épave d’un bateau retrouvé dans la Seine. Où est-elle maintenant ?
Nous atteignons le bas de la rue où se trouve la façade classée d’une ancienne charcuterie réalisée selon la technique dite du sgraffite représentant une scène champêtre où le gibier vit encore de doux moments de liberté. Ici, devant l’église Saint-Médard entourée d’un square, quelques commerces d’alimentation ont subsisté.
Dans le jardin public, tout est quiétude: des enfants jouent, de jeunes étudiants se reposent sur les pelouses, des congrégations religieuses discutent tranquillement. Il est très difficile d’imaginer les scènes de folie qui ont eu lieu au même endroit au milieu du XVIIIème siècle. Il est raconté que des foules de fidèles de Saint-Médard venaient se rouler sur la tombe du diacre Pâris, lieu mythique de guérisons miraculeuses. Les scènes de délire et de convulsions étaient telles, les déchainements hystériques de femmes en transes se multipliant, il fut décidé d’interdire l’entrée du cimetière, dont il reste la trace d’une porte murée par la police en 1733, au 39, rue Daubenton. La fermeture du cimetière n’empêcha pas cependant les scènes d’hystérie collective qui se déplacèrent ailleurs pendant plus de trente ans.
Traversons la place Georges Moustaki et rejoignons la rue du Fer à Moulin par la rue Pascal, puis à gauche par la rue Claude Bernard.
Tournons à droite dans la rue Scipion.
Au nr 13, rue Scipion, se dresse l’hôtel Scipion-Sardini – du nom de son propriétaire, un financier italien, proche de la reine Catherine de Médicis ; sa fortune s’étant considérablement développée, de mauvaises langues se moquaient de lui: « Naguère sardine, aujourd’hui grosse baleine ».
De la rue, devant un petit square, l’immeuble du XVIIème siècle offre au regard une façade solide et un peu sévère. En semaine, le portail est généralement ouvert et permet de découvrir la cour qui a gardé une aile Renaissance de l’ancien hôtel de pierres et de briques construit en 1565. Les arcades de cette aile ancienne sont surmontées de médaillons en terre cuite.
L’hôtel devint vers 1614 un hôpital pour les pauvres, puis assura pendant une très longue période, de 1676 à 1974, la fourniture en boulangerie des hôpitaux parisiens.
Tournons à gauche dans le boulevard Saint-Marcel puis à gauche rue Geoffroy Saint-Hilaire.
Du grand marché aux chevaux, établi ici de 1642 à 1907, subsiste le pavillon de surveillance.
Plus loin dans la rue, l’inscription sur la façade, « Marchands de chevaux, poneys, double poneys de toutes provenances et chevaux de trait » et la tête de cheval rappellent aussi l’ancienne activité du quartier.
Nous passons maintenant devant le 45 rue Poliveau qui pour moi évoque immanquablement la scène culte du film La Traversée de Paris. Scène cynique et et truculente, où Jean Gabin hurle avec sa gouaille de Titi parisien dans le sous-sol de l’épicerie de Jambier.
Plus loin sur le sol, une plaque nous rappelle l’emplacement du moulin Coupeau sur la Bièvre, rue Geoffroy Saint-Hilaire, où nous étions arrivés lors de la promenade sur les traces de la rivière disparue.
Devant nous s’élève la Grande Mosquée de Paris où il est agréable d’y faire une pause et prendre un thé à la menthe avant la visite au Jardin des Plantes.
Le Jardin vaut à lui seul plusieurs visites pour les vastes salles où des espèces animales de toutes sortes, déjà disparues ou sur le point de l’être sont alignées sous les hautes verrières de son Muséum, ses fabuleux cabinets de minéralogie, ses serres tropicales où enfant j’y découvrais avec fascination les plantes carnivores ou le mimosa pudica.
Lycéenne, je complétais avec mon amie Christine mes cours de botanique par des visites au Jardin Alpin où des milliers de plantes de montagne sont soigneusement entretenues sur des terrains à l’exposition très étudiée en fonction de leurs origines : Alpes, rochers méditerranéens, massifs du Caucase et d’Amérique du Nord.
Je n’ai jamais aimé mes rares visites à la ménagerie. La dernière fois il y a longtemps, dans les année quatre-vingt, mon regard a croisé celui à l'infinie tristesse d’un grand singe vautré dans la poussière d’une étroite prison aux barreaux recouverts de suie.
Je préfère déambuler dans les allées derrière les grandes serres à la recherche des vénérables arbres comme le cèdre du Liban planté par Jussieu en 1734.
Au détour d’un sentier qui monte dans les méandres du labyrinthe, on peut apercevoir la délicate Gloriette de Buffon. En haut du kiosque, un mécanisme, aujourd’hui disparu, n’était pas moins délicat. Lorsqu’un fil de crin, changé tous les jours, était brûlé par les rayons de soleil concentrés à travers une loupe réglée sur le méridien, il déclenchait tout un mécanisme d’horlogerie qui sonnait douze coups sur un tambourin chinois placé au creux d’un globe terrestre. Vision comblant la petite fille d’horloger que je suis, bien plus poétique que celle du mécanisme plus martial du canon du Palais-Royal.
En longeant la rue Cuvier, on peut voir plusieurs bâtiments anciens.
Nous sortons du Jardin des Plantes pour rejoindre notre point de départ, rue Linné ; nous passons devant la fontaine Cuvier de 1840, dédiée à l’initiateur de la paléontologie.
Texte / Photos : Martine Combes
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