Hora fugit - Un peu de Paris
Les Parisiens le surnomment aussi le Luco. Car il fut un temps où Paris était occupé par les Gallo-romains qui appelaient Lucotitius ce quartier de la Montagne Sainte-Geneviève.
Les Parisiens sont ainsi étranges, non seulement ils ont gardé une partie du nom latin pour nommer le quartier qui environne le jardin, ils ont aussi préféré garder le nom du premier propriétaire, le Duc de Luxembourg, pour nommer le palais et le jardin en réalité construits par Marie de Médicis.
Le Luco donc, est l’un des plus vastes jardins de la capitale qui présente un bel espace de jeux pour les enfants, tout en réservant de nombreux recoins pour ceux qui recherchent la tranquillité. C’est un lieu de promenade agréable en toute saison et nombreux sont ceux qui y pratiquent le taï chi le samedi et le dimanche.
Enfant de la rive droite, mon aire de jeux du dimanche était le jardin des Tuileries au plan rectangulaire et simple entre le Louvre, la Seine, la place de la Concorde et la rue de Rivoli. Je n’ai donc découvert le jardin du Luxembourg qu’adolescente, par un bel après-midi de septembre.
Si son plan est moins simple, il est cependant aisé de s’y orienter.
Au nord du jardin, le Palais du Luxembourg qui abrite le Sénat est prolongé dans son axe par un jardin à la française avec en son centre le bassin octogonal, entouré de terrasses. Cet axe s'étend vers l’Observatoire par le jardin des Grands Explorateurs.
Au nord ouest, le Musée du Luxembourg ouvert sur la rue de Vaugirard est prolongé par l’Orangerie, lieu également d’expositions et où le miel récolté par le rucher du jardin du Luxembourg est mis en vente en automne. Bosquets et jardins à l’anglaise décorés de statues se succèdent jusqu’au verger qui s’étire au sud le long de la rue Auguste Comte.
Au nord-est se trouve la fontaine Médicis.
De multiples portes permettent l’accès au jardin et la vue sera différente selon l’accès. L’accès par l’est et par le sud auront immédiatement en perspective le palais.
L’accès par l’ouest du côté de la rue Guynemer permet de gagner rapidement la partie où se concentrent les jeux pour les enfants ainsi que les courts de tennis et les terrains de pétanque.
Pour cette promenade, j’ai choisi d’entrer dans la partie sud-ouest du jardin par la porte Vavin, à la façon d’un habitué du quartier ou d’un élève des cours d’apiculture ou de jardinage.
En sortant du métro Vavin, là où s’était arrêtée la promenade dans le quartier Montparnasse, nous prenons la rue Vavin qui nous permet de rejoindre le Luco.
Ceux qui préfèrent le bus pourront arriver directement rue Guynemer par les lignes 82 et 83.
Nous arrivons devant le Pavillon Davioud, du nom de son architecte, célèbre pour avoir conçu la Fontaine de l’Observatoire, surmontée de la sculpture de Carpeaux, Les Quatre Parties du Monde, toute proche (voir dans le quartier Montparnasse). Il a également créé la fontaine du bassin Soufflot à l’ouest du jardin place Edmond Rostand d’où nombre de photographes ont saisi la très belle vue sur le Panthéon à travers le jet d’eau.
En suivant l’allée, on voit rapidement sur notre droite le rucher. Beaucoup peuvent penser que le miel béton provenant des centaines de ruches installées sur les toits de Paris, dont celui de l’Opéra, est une lubie moderne d’écolos défendeurs de valeurs éco-responsables. Si le miel de Paris se pare ainsi de nouvelles valeurs écologiques, le rucher école est ancien. Crée en 1856, il disparut en même temps que la pépinière lors des travaux d’Haussmann. Il fut néanmoins réintroduit en 1872 sur l’emplacement actuel.
En obliquant sur la gauche, nous passons devant les terrains de pétanque avant d’arriver dans la partie du jardin où se concentrent les jeux pour les enfants.
Si certains jeux du temps de mon enfance sont encore là, tels que les balançoires métalliques et le manège à chevaux de bois où les enfants peuvent attraper des anneaux à travers une baguette, la plupart plus modernes sont enclos dans un espace sécurisé.
En revanche, les chevaux mécaniques mis en place en 1889 ont disparu. Je me souviens avoir grimpé enfant sur les mêmes chevaux au Jardin des Tuileries et me démener avec énergie pour faire basculer la monture de carton pâte en la faisant grincer de tous ses ressorts. Je devais avoir un style Calamity Jane beaucoup moins distingué que celui des petites filles en chapeau photographiées par Atget.
Les promenades à voiture tirées autrefois par des chèvres ont été remplacées depuis longtemps par des promenades à dos d’ânes échangés à leur tour par des poneys. Pour combien de temps ?
Promenade en voiture, tirée par des chèvres
Jardin du Luxembourg
Atget – entre 1898 et 1901
(Musée Carnavalet)
Repartons sur la droite en direction du sud pour rejoindre le verger, le long de la rue Auguste Comte. Les allées sinueuses qui nous y mènent traversent un jardin anglais, dont les pelouses au vert cru alternent avec des parterres fleuris. Les nombreux sièges et bancs éparpillés nous incitent à la pause sous les cèdres et séquoias. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté semble nous dire la statue de Baudelaire.
Nous arrivons près du verger qui longe la façade du lycée Montaigne. Plus de six cents variétés anciennes de pommes et de poires aux noms poétiques sont ici cultivées selon des techniques complexes : espaliers, palmettes, pyramides. Depuis sa création en 1809, les cours d’arboriculture sont toujours dispensés et de plus gratuits.
Remontons en direction du palais, en laissant derrière nous le Jardin des Explorateurs qui s’étire le long de l’avenue de l’Observatoire. Nous arrivons sur les terrasses qui surplombent les parterres et le plan d’eau. Les vingt « Reines de France et Femmes illustres » choisies par Louis-Philippe font une ronde un peu désuète autour de la partie centrale. Du côté ouest, après la statue de la reine des lieux, Marie de Médicis, celle de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et sœur de François 1er , qui semble prendre la pose avec son index de la main gauche sous le menton, le bras droit passé devant la taille, la main sur la hanche tenant un bouquet de marguerites.
Descendons maintenant les marches pour rejoindre le bassin où les enfants jouent avec les bateaux.
Me viennent à l’esprit les vieilles images prises par d’autres grands photographes qu’Atget, notamment celles du jardin sous la neige par Boubat et Brassaï. En commun, celles du bassin octogonal prises à foison par eux et d’autres, à des époques différentes mais montrant la même silhouette d’enfant penché sur le rebord ou debout le regard fixé sur leur bateau.
Boubat a surtout photographié les couples d’amoureux ; tel celui qui s’embrasse devant un petit voilier semblant prêt pour un voyage à Cythère. Ces petits voiliers peints et vernis sont en location depuis 1881. Aujourd’hui de toutes les couleurs et portant la bannière d’un pays ou d’un pirate, ils sont toujours en vogue à l’ère de la tablette et des jeux vidéos.
Remontons sur les terrasses et dirigeons nous du côté est du jardin.
A la hauteur de la place Edmond Rostand, se détache la silhouette toute en légèreté du Faune Dansant, en équilibre sur un pied.
Remontons l’allée qui longe la rue de Médicis. Sur notre gauche, nous voyons l’ancienne fontaine du Regard intégrée à l’arrière de la fontaine de Médicis. Cette fontaine dont l’eau ne coule plus du bec du cygne était à l’origine adossée à un mur à l’angle de la rue Vaugirard et fut déplacée lors du percement de la rue de Rennes.
Nous voyons maintenant de près le géant Polyphème de la fontaine de Médicis, sculpté dans un bronze verdâtre, exprimant ainsi parfaitement sa jalousie, penché au dessus du couple de marbre blanc que forme le berger Acis et la nymphe Galatée.
A l’origine, la fontaine commandée par Marie de Médicis était initialement une simple grotte composée de trois niches vides. Lors de son déplacement lors du percement de la rue de Médicis, l’architecte Alphonse de Gisors qui travaillait également à l’agrandissement du Palais conçut un nouveau décor et apporta une note extrêmement romantique à l’ensemble.
Fontaine Médicis au Jardin du Luxembourg
Atget - 1908
(INHA)
Nous passons devant le Palais pour nous diriger vers la rue Guynemer et rejoindre la rue Bonaparte. Avant de sortir, nous voyons sur notre gauche une incroyable réalisation en bronze de Jules Dalou figurant une scène complètement débridée. L’ivrogne Silène, père de Dionysos, en déséquilibre sur un âne croulant sous le poids du bedonnant satyre est maintenu à bout de bras par tout un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants.
Nous sortons du jardin et rejoignons la place Saint-Sulpice par la rue Bonaparte.
L’Abbé Grégoire qui repose aujourd’hui au Panthéon depuis 1989 vécut ici dans cet hôtel à la porte classée au 88, de la rue Bonaparte. Figure de la Révolution française, il plaida à la Constituante la pleine égalité des droits des Juifs et l’abolition de l’esclavage. Dans le souci de perfectionner l’industrie et de transmettre les savoirs faire il fonda également le conservatoire des Arts et Métiers, devant lequel nous sommes passés lors de la promenade dans le nord du Marais.
Nous arrivons place Saint-Sulpice, que je ne vais pas tenter de décrire, l’exercice a été réalisé en 1974 par Georges Pérec dans une Tentative d’épuisement d’un lieu parisien.
« Il ya beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple : une mairie, un hôtel des Finances, un commissariat de police, trois cafés dont un fait tabac, un cinéma, une église à laquelle ont travaillé Le Vau, Gittard, Oppenord, Servandoni et Chalgrin et qui est dédiée à un aumônier de Clotaire II et qui fut évêque de Bourges de 624 à 644 et que l’on fête le 17 janvier, un éditeur, une entreprise de pompes funèbres, une agence de voyages, un arrêt d’autobus, un tailleur, un hôtel, une fontaine que décorent les statues des quatre grands orateurs chrétiens (Bossuet, Fénelon, Fléchier et Massillon), un kiosque à journaux, un marchand d’objets de piété, un parking, un institut de beauté, et bien d’autres choses encore.
Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages. »
Des trois bistrots, à partir desquels Pérec a observé ce lieu très parisien, ne subsiste plus que le café de la Mairie à l’angle de la rue des Canettes, où Antoine (Fabrice Lucchini) rencontre Catherine (Judith Henry) dans le film La Discrète.
On peut se demander d’ailleurs si cette place encore si italienne avec son imposante église pourrait être encore un lieu d’observation du simple quotidien dans ce quartier si chic.
Avant Georges Pérec, dans un genre moins systématique, Joris-Karl Huysmans a aussi décrit la place, de l’entresol d’un marchand de vin à l’angle de la rue du Vieux-Colombier et de la rue Bonaparte. Son personnage de A vau l’eau regarde lui aussi le spectacle de la place à la sortie de la messe et le quotidien des gens du quartier. De là il observe « le coin de la rue Saint-Sulpice, un terrible coin, balayé par le vent de la rue Férou et occupé, lui aussi, par un marchand de vins qui possédait la clientèle assoiffée des chantres. Et cette partie de la place l’intéressait, avec sa vue de gens vacillant sur leurs pieds, la main au chapeau, sous la tourmente, près des grands omnibus de la Villette, dont les larges caisses rouge-brun s’alignent, au ras du trottoir, devant l’église. »
Ces omnibus ont été les derniers à être en service jusqu’en janvier 1913.
Si Joris Karl Huysmans trouvait que « Sous un coup de soleil, la place devenait charmante », l’église était pour lui « une abominable construction ». Comme quoi les goûts passent eux aussi, car je ne pense pas trouver de nos jours quelqu’un porter un jugement aussi sévère sur cette église pour laquelle les parisiens ont une affection toute particulière. Si la façade à l’antique de Servandoni reste une référence, l’église est inachevée par rapport au projet initial. Un fronton triangulaire devait surmonter le portique supérieur et les tours, notamment celle de droite, n’ont pas été achevées.
L’architecte envisageait également une grande place semi-circulaire dont la réalisation se heurtait à la présence du séminaire. L’immeuble du 6 de la place, construit en 1754 donne une idée de l’architecture d’ensemble que voulait Servandoni. Le séminaire finalement démoli en 1808 fut remplacé par la fontaine des Quatre Evêques.
A l’entrée, deux bénitiers imposants. Ces coquillages offerts par la République de Venise à François 1er furent par la suite montés sur des sculptures de Jean-Baptiste Pigalle, rochers peuplés de crabes, de poulpes, de coraux et d’étoiles de mer.
Près de l’entrée, à droite, ne manquez pas la chapelle décorée par Delacroix. Les trois chefs-d’œuvre ont retrouvé récemment leurs couleurs après une vaste campagne de restauration. Delacroix avait reçu la commande de la paroisse de Saint-Sulpice désirant décorer une chapelle dédiée aux Saints-Anges. Vaste chantier de dix ans, achevé en 1861 pour lequel Delacroix installa son atelier, aujourd’hui émouvant musée, situé près de l’église rue de Furstenberg.
Pour chacun des trois tableaux, Delacroix représenta un ange combattant.
Ange soldat pour celui du plafond : Saint-Michel terrassant le démon.
Ange au combat pour celui du mur gauche de la chapelle: La lutte de Jacob avec l’Ange.
Et enfin un ange vengeur sur le mur de droite : Héliodore chassé du temple.
Après avoir vu ces tableaux aux couleurs infiniment subtiles, le contraste est d’autant plus saisissant avec la cinquième chapelle où se situe un sinistre monument funéraire. Un sinistre monument pour un sinistre personnage ? Atget a indiqué que le monument est en mémoire de Jean-Baptiste Languet de Gergy, connu aussi pour avoir refuser de donner les saints sacrements à Adrienne Lecouvreur. Sociétaire de la Comédie Française, elle fut enterrée à la sauvette dans l’actuel Champ-de-Mars, ce qui révolta Voltaire :
Ah ! Verrai-je toujours ma faible nation,
Incertaine en ses vœux, flétrir ce qu’elle admire,
Nos mœurs avec nos lois toujours se contredire,
Et le Français volage endormi sous l’empire
De la superstition ?
Quoi ! N’est-ce donc qu’en Angleterre
Que les mortels osent penser ?
Le monument est tout à la gloire du curé, tiré dans l'immortalité par un ange qui écarte les sombres ténèbres où se tient la mort.
Dirigeons nous maintenant vers la nef centrale où se dresse la majestueuse chaire.
Obliquons vers le transept nord, à gauche, pour aller voir le gnomon, dont on a tant parlé depuis le Da Vinci code de Dan Brown.
Il est vrai que cet obélisque de marbre blanc surmonté d’une boule dorée et recouvert de signes du zodiaque est intriguant et ouvre la porte à de multiples questionnements.
Une notice nous donne plus prosaïquement des renseignements sur cet outil astronomique installé ici en 1743 par l’Observatoire de Paris afin de mesurer la position du soleil en fonction de la période de l’année. Au sol, une ligne de laiton part d’une plaque de bronze et rejoint l’obélisque. La fenêtre du transept sud est percée d’un trou afin de capter le rayon du soleil qui en se déplaçant sur les graduations, permet de donner l’heure de midi selon les solstices et les équinoxes.
Les esprits cartésiens sont rassurés et s’éloignent tandis que les autres préférant les mystères persistent à regarder les symboles représentés par des poissons et des lézards, pensant justement qu’il y en a un …
Continuons en direction du chœur et dirigeons-nous vers la chapelle de la Vierge. Lors de ma promenade, une messe y était donnée et l’endroit vibrait de la ferveur de ceux qui y priaient. Inondée de lumière, La Vierge à l’Enfant de marbre blanc réalisée par Jean-Baptiste Pigalle semble sortir de sa grotte et les tableaux de Van Loo, récemment restaurés ont retrouvé leur éclat.
Sacristie – Eglise Saint-Sulpice
Place Saint Sulpice
Atget – Vers 1900
(Musée Carnavalet)
En sortant de l’église, si l’on n’a pas peur de commettre le péché de gourmandise, on pourra terminer la promenade par une pause sucrée, car les tentations ne manquent pas dans le coin. Pour n’en citer que quelques unes :
- Place Saint-Sulpice, les chocolats à se damner de Patrick Roger, meilleur ouvrier de France,
- tout près, rue Bonaparte, le pape du macaron Pierre Hermé,
- plus loin, boulevard Saint-Germain, au bout de la rue Bonaparte un chocolat chaud, doux comme le petit Jésus en culotte de velours, aux Deux-Magots.
Texte / Photos : Martine Combes
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