Hora fugit - Un peu de Paris
Cette promenade débute en bord de Seine, port de la Râpée au niveau du viaduc d’Austerlitz. (Pour celà, le plus simple est de partir de la Gare de Lyon et d’arriver par le boulevard de Diderot, puis par la rue Traversière).
Nous resterons au bord de l’eau jusqu’au ministère de l’Economie et des Finances qui s’avance en surplomb au dessus du quai.
Puis nous nous engagerons dans le parc de Bercy. Les entrepôts de vin de Bercy gagnés par les nouvelles techniques de stockage ont disparu sous l’herbe du palais Omnisport et du parc de Bercy, particulièrement attrayant dans ses deuxième et troisième partie avec leurs beaux jardins agrémentés de vignes et de bassins.
Cour Saint-Emilion, d’anciens chais ont été préservés ainsi que ceux des anciens entrepôts Lheureux, de l’autre côté de la rue, qui abritent aujourd’hui le musée des Arts forains, ainsi qu'une école de Boulangerie et de Pâtisserie.
De continuels changements sont entrepris dans ce quartier, y compris dans des coins que l’on aurait pu penser être préservés : ainsi le Tunnel des Artisans rue Baron le Roy, en activité depuis 1840, seul et dernier réfrigérateur naturel de Paris utilisé par des producteurs et des artisans, très touché par le nouveau projet Bercy Charenton qui couvre 63 hectares.
De même le bastion 1 des fortifications, inscrit aux monuments historiques, occupé par un centre d’hébergement d’urgence, rappelant par un curieux retour de l’histoire les populations marginalisées établies sur la zone des fortifications, ces zoniers précisément immortalisés par Atget.
Cette promenade sur les pas d’Atget est en grande partie une promenade fantôme : les activités portuaires du quai de la Râpée ont disparu et les docks ont été engloutis sous l’asphalte de la voie expresse. Par beau temps, la promenade en bordure des anciens ports de la Râpée et de Bercy est agréable : les bateaux restaurants offrent de belles terrasses et la vue sur de nouveaux bâtiments emblématiques de la rive gauche montrent un aspect moderne de Paris.
Depuis toujours, le fleuve a longtemps joué un rôle prédominant dans ce quartier, comme l’atteste la découverte à Bercy de dix pirogues datant du quatrième millénaire avant J.C.
A l’intersection du boulevard de Bercy et des quais de la Râpée et de Bercy se trouvait autrefois la barrière de la Râpée, d’où les agents de l’octroi surveillait la navigation sur Seine. Une patache permettait le contrôle des bateaux qui arrivaient par la Seine. Afin d’éviter de payer l’impôt, le vin qui arrivait par bateau en provenance de la Bourgogne et des pays de la Loire était déchargé quai de Bercy, avant le passage de l’octroi. Puis le commerce de vins se développa et progressivement des entrepôts de vin s’établirent sur un ancien vaste domaine et finirent par couvrir une superficie de 42 hectares entre le quai de Bercy, le boulevard et la rue de Bercy, et le boulevard Poniatowski.
Quai de la Râpée évoque pour moi mes débuts professionnels lorsque je travaillais à la tour Rives de Seine près de la gare de Lyon. Comme je vivais à cette époque rue de Tolbiac, je prenais la ligne de métro 5 et je me souviens de la courbe que suivait la rame au niveau de l’institut médico-légal. Si le quartier autour de la Gare de Lyon a beaucoup changé et continue d’évoluer, cette partie au niveau du viaduc d’Austerlitz est resté la même telle que la décrit Léo Mallet dans Brouillard au pont de Tolbiac :
« Encore quelques mètres sous terre, pour passer sous le pont d’Austerlitz, et le train, revenu en surface, prit la courbe, contourna les bâtiments en brique de l’institut médico-légal, sinistres seulement par la représentation qu’on s’en fait, mais d’aspect aussi pimpant et jovial que le célèbre docteur Paul lui-même, grand prêtre de ces lieux – et s’engagea en grondant sur le viaduc métallique qui enjambe la Seine. »
De l’autre côté de la Seine, les immeubles modernes se succèdent : Bâtiment ceinturé en vert fluo de la Cité de la Mode et du design, Immeuble Fulton reconnaissable à ses balcons de verre dichroîque, la BnF avec ses quatre tours en forme de livre ouvert conçu par Dominique Perrault.
Les ginguettes de Bercy accommodaient un grand nombre de plats au vin et à l’échalote comme la fameuse entrecôte Bercy servie grillée, avec une sauce à base d'échalotes, de vin blanc, de persil et de beurre. Autrefois, on n'ésitait pas à l'enrichir d'un peu de moelle … Une autre recette rappelle aussi l’ancienne activité des entrepôts de vin : celle de l’entrecôte sauce marchands de vin, elle aussi à l’échalote mais là avec du vin rouge, de préférence corsé.
Quelques noms autour du parc évoquent encore cette activité avec la rue de Pommard, le passage Saint-Emilion, la rue de Chablis. Mais à la place des chais et des caves où étaient entreposés les tonneaux de vin, ne subsiste qu’un vaste parc, dit « jardin de mémoire ». Divisé en trois parties bien distinctes, le parc a gardé la structure des anciennes voies qui portaient toutes le nom d’une commune productrice de vins ; on peut encore y voir quelques rails permettant le transport des tonneaux. Le parc a également conservé les deux cents platanes centenaires complétés par plus de mille nouveaux arbres d’essences diverses. Les quatre cents pieds de vigne vendangés chaque automne complètent le souvenir du lieu ancien.
La première partie devant le Palais Omnisports est la moins attrayante. S’y déploient les « grandes pelouses », plutôt prairie au mieux ou paillasson au pire dont les étendues plus ou moins bien entretenues sont découpés selon le quadrillage ancien des rues.
La cour Dessort, du nom d'un proprétaire d'entrepôts de vins, photographiée par Atget devrait à peu près se trouver aujourd’hui entre la passerelle Simone de Beauvoir et la cinémathèque française, installée dans l’ancien Centre Américain construit par Franck Gehry. Autrefois, cette rue ouverte en 1878 se situait entre la rue du Port-de-Bercy et la rue de Cognac.
La seconde partie du parc, très bucolique, est agencée autour de neuf parterres avec en son centre la maison du jardinage. Les treilles, protégées de l’avidité des merles par de fins filets, rappellent la vocation ancienne du site.
Aujourd’hui la rue Laroche photographiée par Atget doit approximativement se trouver dans l’axe d’une des deux passerelles qui enjambent la rue Joseph Kessel. Autrefois cette rue située entre la rue Léopold et la rue de Blaye avait été ouverte vers 1815 par un négociant en vins originaire de Laroche-Saint-Cydroine dans l'Yonne.
Rue Laroche – Entrepôts de Bercy
Atget - 1913
(Ville de Paris)
Rue Laroche – Entrepôts de Bercy
Atget – 1913
(Ville de Paris)
Parc de Bercy - Les Parterres
Lorsque nous sortons du Parc, nous débouchons (si l’on peut me permettre cette expression) sur les anciens chais de la cour Saint-Emilion qui abritent désormais des boutiques et des restaurants.
Le passage Saint-Emilion débouche rue des Pirogues de Bercy où nous pouvons voir les chais Lheureux également sauvés de la destruction des entrepôts. Ces pavillons en pisé abritent le musée des Arts Forains ainsi qu'une école de Boulangerie Pâtisserie.
Le nom de cette rue rappelle la découverte à Bercy de pirogues datant du quatrième millénaire avant J.C. que l'on peut voir au Musée Carnavalet.
La promenade peut s’arrêter là. Vous pourrez prendre soit le bus de la ligne 24, rue des Terroirs de France, dont la ligne permet une agréable traversée de Paris ou soit le métro à la station Cour Saint-Emilion.
Pour ma part lors de ma dernière visite rue Baron-le-Roy, j’ai eu la curiosité de me rendre compte sur place où en était le projet de démolition du Tunnel des Artisans, un temps menacé par le projet Bercy Charenton. Bien que l’activité y soit dorénavant extrêmement ralentie, le Tunnel des Artisans a réussi à conserver ses voûtes en pierres de taille un temps menacées de destruction par le projet Bercy Charenton. Installé sous l'ancienne gare de la Râpée, ce tunnel a abrité depuis 1841 des activités artisanales en leur prodiguant les bénéfices d’un réfrigérateur naturel grâce à une température constante entre 10 et 12° toute l’année. Il a également servi de décor pour plusieurs scènes du film "Papy fait de la résistance". Titre bien prémonitoire pour ces artisans ...
J’ai eu aussi la curiosité d’aller voir le bastion 1 des anciennes fortifications de Paris, accessible par le bus de ligne 24.
Le Bastion 1, inscrit aux monuments historiques est le seul vestige de l’enceinte de Thiers qui subsiste dans sa quasi-intégralité avec sa casemate. Ce fragment d’enceinte, petit polygone long d’une centaine de mètres devait sa survie, disait-on jusqu’à présent, grâce à l’exigüité de la parcelle, trop petite pour y recevoir des constructions de type HBM (Habitations Bon Marché) construites à l’emplacement des fortifications détruites en 1919. Aujourd’hui, il semble suffisant pour y recevoir un centre d’hébergement d'urgence. Coincé entre les triages ferroviaires et les entrepôts, l'’endroit est peu propice à la promenade; l’air qu’on y respire est saturé de la pollution émanant du périphérique et du gigantesque échangeur de Bercy tout proche. Seule mon obsession à partir sur les pas d’Atget et la curiosité de l’insolite m’ont incitée à venir jusqu’ici ici.
Texte / Photos : Martine Combes
Contact / newsletter: