Hora fugit - Un peu de Paris
La promenade précédente dans le quartier du Temple débute par le Carreau du Temple qui, à partir de 1880, vit l’installation de juifs étrangers, originaires d’Europe centrale et orientale, fuyant la misère mais surtout les persécutions. Beaucoup de juifs ashkénazes vont s’y établir et exercer le commerce de vêtements. D’autres s’installeront aussi autour de la rue des Rosiers et des Ecouffes, attirés par les loyers bon marché et aussi par une présence ancienne de juifs que l’on recense dans le Marais depuis le XIIème siècle. Après une longue période d’absence à partir de 1394, date à laquelle un édit royal prononça leur expulsion du Royaume de France, les juifs revinrent à partir de la Révolution.
Ces vies laborieuses et retranchées dans ce petit quartier seront décimées par l’Holocauste dont très peu réchappèrent.
Nous pouvons d'ailleurs poursuivre la promenade précédente et rejoindre la rue des Rosiers par la rue des Francs-Bourgeois et la rue Vieille du Temple.
La promenade est concentrée autour de la rue des Rosiers, rue des Hospitalières-Saint-Gervais, rue des Ecouffes et rue Ferdinand-Duval.
La rue des Rosiers est encore de nos jours la rue phare du quartier juif, bien que très changée ces dernières années.
La rue est devenue piétonne en 2006, et les anciens commerces, librairies et restaurants traditionnels de plus en plus rares côtoient dorénavant des magasins de mode et de luxe.
A l'époque d'Atget, en 1910, voici la description de la rue des Rosiers qu’en faisait le marquis de Rochegude.
« Aujourd’hui elle est presque entièrement habitée par des Juifs (enseignes israélites, caractères hébraïques sur de nombreuses boutiques, boucheries juives, fabriques de pains azymes, etc.). Il est très curieux, pour ceux que la physionomie des rues intéresse, de visiter cette rue un samedi. On y entend parler toutes les langues et on y rencontre à chaque pas le type sémite. C’est le ghetto parisien. »
A la froide description du Marquis, il faut ajouter les paroles poignantes d'Apollinaire, tout empreintes d’humanité de son poème Zone:
Tu regardes les yeux pleins de larmes
ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient
les femmes allaitent les enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Avant la Seconde Guerre mondiale, qui entraîna la déportation et l’extermination de la majeure partie de la population, partout rappelées sur des plaques d’immeubles et d’écoles, le cœur du quartier était surnommé le « pletzl », du yiddish « petite place », que Léon-Paul Fargue situe à l’angle de la rue des Rosiers et de la rue des Ecouffes. D’autres le situent autour du métro Saint-Paul ou encore à l’angle de la rue des Hospitalières-Saint-Gervais.
Il faut beaucoup d’imagination, que ce soit aujourd’hui, que ce soit en détaillant la photo prise par Atget, pour y réentendre des sons d’autrefois, un violon tirant des airs d’une déchirante allégresse, des accents yiddish de lointaines contrées slaves, comme si l’asphalte les avait définitivement recouverts avec les pavés. Cette absence de sons n’est-elle pas finalement le digne accompagnement d’une poignante mélancolie lorsque l’on lit cette plaque sur l’école des Hospitalières-Saint-Gervais rappelant que 165 enfants furent déportés à Auschwitz. Une autre plaque rappelle l’engagement courageux de son directeur, Joseph Migneret qui sauva de nombreux enfants juifs au péril de sa vie. Son nom est inscrit sur le Monument de l’Allée des Justes que nous pouvons voir près de la rue du Grenier-sur-l’Eau. Le charmant square rue des Rosiers porte également son nom (enceinte Philippe Auguste).
Léon-Paul Fargue décrit le quartier dans le piéton de Paris:
« ce n’est pas, à proprement parler, un ghetto comparable à ceux de Pologne, de Roumanie ou de Hollande, c’est un petit pays limité par la rue du Roi-de-Sicile, la rue Ferdinand-Duval, autrefois rue des Juifs et la rue Vieille-du-Temple, et dont le centre se trouve au coin de la rue des Ecouffes et de la rue des Rosiers, où s’ouvre la librairie Speiser, rendez-vous de tous les Juifs du monde. »
La librairie Speiser, au 34 rue des Rosiers, était un lieu de rencontres du quartier. Wolf Speiser, né à Odessa en 1869, édita vers 1910 un almanach à l’usage des nouveaux venus, prodiguant conseils et translitération des noms de rues et de gares en caractères hébraïques et leur traduction en yiddish. Ainsi, par exemple, la Gare Saint-Lazare était mentionnée en yiddish, « vogsal san lasar », puis en translitération du français, « gar san lazar ».
Le marchand de vins, La Vendangeuse se trouvait à côté au 32, rue des Rosiers. Aujourd’hui les deux magasins sont réunis sous une même enseigne réputée pour ses fallafels (avec un ou deux l, comme on veut). Ashkénazes et Sépharades se côtoient aujourd’hui en perpétuant cette présence juive depuis longtemps enracinée dans le Marais.
Le nom de la rue pourrait venir d’une enseigne illustrant le poème de l’Escoufle, œuvre de Jean Renart très en vogue au XIIIème siècle. L’escoufle ou écouffe désigne un milan, oiseau rapace, nom qui est aussi communément donné aux prêteurs sur gages, lesquels habitaient la rue …
Au bout de la rue des Ecouffes, tournons à gauche dans la rue du Roi de Sicile, puis à gauche dans la rue Ferdinand-Duval.
Jadis rue des Juifs déjà sous Louis XII, c’est suite à l’affaire Dreyfus et à la vague d’antisémitisme qui s’ensuivit que son nom fut changé et remplacé en 1900 par celui du préfet de la Seine, Ferdinand Duval (1826-1896). Très peu de magasins traditionnels ont subsisté, un bazar vendant des chandeliers et des articles religieux semble résister, mais l’envahissement progressif par les boutiques de mode est marqué comme dans la rue des Rosiers.
Au 20 de la rue Ferdinand-Duval se situe l’hôtel de Cormery, dont les bâtiments datent du milieu du XVIème siècle, comme le corps de logis Renaissance en fond de cour (le petit pavillon du rez-de-chaussée a été ajouté en 1846). Cette maison, autrefois appelée Hôtel des Juifs, appartenait à la fin du XIVème siècle à Manessier de Vesoul, procureur général de la communauté des Juifs de la France du Nord.
Au bout de la rue, tournons à droite dans la rue des Rosiers.
Pour continuer avec la promenade Place des Vosges, au bout de la rue des Rosiers, prendre à gauche la rue Pavée, puis la rue des Francs-Bourgeois à droite.
Texte / Photos : Martine Combes
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