Hora fugit - Un peu de Paris
Cette dernière promenade sur le tracé de l'Ancien Méridien de Paris part du Palais Royal pour se terminer à Montmartre.
Nous avons devant nous deux institutions, le Conseil d'Etat et la Comédie Française.
Sur notre gauche, devant la Comédie Française, le croquignolet Kiosque des Noctambules décoré de boules de verre de Murano, imaginé par Jean-Michel Othoniel, si délicat et si empreint de poésie qu’il semble sorti tout droit de la page d’un livre pour enfants.
Prenons devant nous la Galerie de Nemours qui contourne le bâtiment de la Comédie Française. Sur notre droite, le café Le Nemours, parfait endroit pour se donner rendez-vous. Les moineaux y sont légion, attirés par les miettes des diverses consommations en terrasse, d’où le spectacle est permanent : le ballet incessant des oiseaux, les nombreuses allées et venues des passants parmi lesquels on reconnaitra fréquemment une personnalité.
Nous sommes sur le tracé de l'Ancien Méridien de Paris marqué par plusieurs médaillons Arago ...
Nous continuons par la Galerie de Chartres qui débouche sur la cour d’honneur du Palais Royal, où se dressent les fameuses colonnes de Buren qui ont déclenché des déferlantes d’hostilité.
Les 260 colonnes de Buren de marbre noir et blanc parfaitement alignées me font toujours penser à un vaste plateau de jeu avec pour figurines, les jeunes et les moins jeunes qui aiment s’y jucher ou s’y reposer.
Je ne peux passer ici sans me rappeler mon émerveillement d’enfant à la vue des Comédiens français en habits, fraise au cou et épée au côté prenant le frais sur le balcon du premier étage de la Comédie Française, un dimanche après-midi. L’air était envahi de leurs rires dans ce décor un peu froid et désert qu’il était à l’époque dont je parle, c’est-à-dire les années soixante. Les colonnes qui ont fait longtemps scandale n’existaient pas encore, ni les belles fontaines aux boules argentées de Pol Bury dans lesquelles se reflètent les colonnes des galeries.
Ce jardin, par lequel nous passons lors de la promenade des Passages, est aujourd’hui une majestueuse et calme bulle verte, retirée de la circulation mais fréquentée à toute heure de la journée.
Autrefois, je l’ai connu plus déserté, certainement tel que le décrit Colette ; alors peu connu ou trop retiré, il n’était essentiellement fréquenté que par les habitants du quartier. Son côté suranné était renforcé par la présence de magasins d’une autre époque présentant dans leurs vitrines tout un arsenal d’objets masculins composé de médailles, de petits soldats de plomb et de pipes. On peut encore voir ces magasins du côté de la galerie de Chartres, largement éclipsés par les magasins très chics établis dans les galeries de Montpensier et de Valois.
Poursuivons par la Galerie de Montpensier qui longe le jardin. Arrêtons-nous au niveau du petit Canon du Palais Royal, à l’arrière de la statue du charmeur de serpent, qui bien détériorée, a perdu serpent et bras.
nstallé ici en 1786 par un horloger du Palais-Royal, ce canon méridien se déclenchait à midi grâce à l’action du soleil qui enflammait une mèche à travers une loupe. En 1911, quand le Méridien de Greenwich devint la référence officielle, plutôt que chercher midi à quatorze heures, on fit taire le petit canon, peu d’années avant que de plus terribles grondent et fassent trembler le monde entier. Il pétarada de nouveau par périodes avant d’être volé en 1998. C’est donc une copie que l’on voit aujourd’hui qui avant le Covid se faisait entendre chaque mercredi à midi après qu'il fut déclenché … manuellement!
Au n°24, un médaillon Arago (remis à l'envers) devrait nous remettre dans la bonne direction, c'est-à-dire le nord, en direction de la fontaine Molière, ornée de deux allégories, la Coméde Sérieuse et la Comédie Légère que domine l’illustre auteur assis dans un fauteuil. C’est non loin d’ici, au niveau du n°40 qu’il est mort le 17 février 1673, après une représentation du Malade Imaginaire.
Nous allons maintenant rejoindre le boulevard des Italiens par la rue des Petits-Champs, la rue Sainte-Anne où pour pimenter la promenade nous pourrons toujours nous arrêter dans la belle boutique d’épices d’Olivier Roellinger, et enfin par la rue de Gramont.
Au XIXème siècle, le boulevard des Italiens était l’épicentre de toutes les fièvres du microcosme parisien. Dans ce décor de la Comédie Humaine, s’y croisaient aristos, cocottes, écrivains, artistes et journalistes qui peuplaient ses cafés et théâtres à la mode. S’il n’a plus aujourd’hui la même aura, il reste encore une voie très fréquentée pour ses restaurants, cinémas, théâtres et ses passages couverts.
Comme en témoigne l’ancien siège très imposant du Crédit Lyonnais devant lequel nous passons, de nombreux bureaux et établissements bancaires s’ouvrirent à la fin du 19ème et au début du 20ème.
Boulevard des Italiens, entre la rue Taitbout et la rue Lafitte, l’immeuble à la façade néo renaissance était autrefois occupé par un restaurant, La Maison Dorée, alors renommée pour sa cuisine raffinée et sa décoration luxueuse qui lui valut son surnom.
Je l’ai connu longtemps entouré d’étais dans les années 70, lorsque la BNP en refit un bâtiment moderne. Petite prouesse en 1974, l’immeuble fut complètement évidé pour ne garder que la belle façade.
Admirons sa frise sculptée et au passage remarquons parmi les nombreux animaux un loup en train de contempler un petit agneau, image oh combien adaptée pour une banque…
Continuons par la rue Lafitte jusqu’à la rue de Châteaudun. En ligne de mire, le Sacré-Cœur et l’église Notre-Dame de Lorette, où je reçus comme ma mère baptême et communion. L’austérité extérieure de l’église qui se décrépit d’année en année contraste avec sa riche décoration intérieure de marbres, peintures et de dorures.
La rue Laffitte, du nom d’un banquier, est marquée de fait par la banque. Les nombreux immeubles de bureaux en témoignent. James de Rothschild avait au n°19 un hôtel particulier où le Tout-Paris du début du XIXème siècle venait à ses dîners préparés sous la direction d’Antonin Carême, « cuisinier des rois, roi des cuisiniers ». Il est dit que pour Rossini, invité à la table du baron, le chef Carême inventa le fameux Tournedos recouvert de foie gras et de lamelles de truffes.
Salomon de Rothschild, en bon voisin de son frère, occupait un hôtel particulier au n°17. Sous l’empire, le futur Napoléon III y naquit quand ses parents, Louis Bonaparte, roi de Hollande et la reine Hortense de Beauharnais y habitaient. L’hôtel fut démoli en 1900 lors du percement de la rue Pillet-Will, rue austère et imposante à l’image des bureaux de la Compagnie d’’Assurances qui la bordent.
Palais de la reine Hortense – Rue Laffitte
Atget – 1899/1900
(INHA)
Rejoignons la rue de Châteaudun que nous prenons sur notre gauche.
Avant de continuer par la rue Saint-Georges, je me suis arrêtée au 34, rue de Châteaudun, à la recherche d’un éventuel médaillon.
Point de médaillon, ni à l’extérieur, ni dans la cour de ce bel hôtel particulier, classé monument historique. Longtemps occupé par des bureaux du ministère de l’éducation nationale, il accueille désormais une crèche et des logements sociaux. La recherche ne fut donc pas vaine et m’a permis de découvrir un bel endroit devant lequel je suis passée un grand nombre de fois sans y prêter réelle attention. Quand on est jeune, on ne sait pas toujours remarquer les belles choses du passé.
Dans la cour, une élégante fontaine classée, du temps où l’eau courante n’existait pas encore.
Par la rue Saint-Georges, j’entre dans le quartier de mon enfance. Mes grands-parents s’y installèrent dans les années trente.
Place Saint-Georges, je me suis laissée photographiée au pied du monument à la mémoire du dessinateur Gavarni dans la même position que ma grand-mère photographiée dans les années trente, entrant ainsi dans une sorte de communication à travers l’au-delà, où dans une pirouette du temps, la Mamie que je suis devenue parle au fantôme de ma grand-mère, alors jolie jeune femme élégante.
Nous sommes dans le quartier de la Nouvelle Athènes, construit sous la Restauration, joli quartier tranquille où j’ai passé mes premières vingt années. Ce nom de Nouvelle Athènes rappelle le style néo-classique des nouveaux édifices qui y furent construits au XIXème siècle, comme celui de l’église Notre-Dame de Lorette. Ce nom évoque aussi l’élite des Lettres et des Arts qui s’y établit. Rue Chaptal, le peintre Ary Scheffer avait son atelier et sa maison, aujourd’hui musée de la Vie romantique, où s’y réunissaient George Sand, Chopin, Delacroix, Ingres, Liszt … Rue de la Rochefoucauld, le peintre symboliste Gustave Moreau y avait son hôtel particulier, aujourd’hui beau musée.
Nouveau quartier à la mode du XIXème siècle, il attirait les courtisanes de tout acabit : filles de petite vertu, les lorettes ou bien des demi-mondaines, comme celle qui devint la marquise de Païva qui habita cet immeuble de la place Saint-Georges à la façade richement décorée.
Continuons par la rue Notre-Dame de Lorette jusqu’ à la rue Jean-Baptiste Pigalle à droite.
Curieusement, le médaillon Arago est toujours là au 69-71 rue Pigalle, où deux univers se sont croisés. Le mien, photographiant le médaillon bien insignifiant pour le jeune garçon attendant patiemment dans la longue file d’attente du Dumbo, LA nouvelle adresse du smash burger, tout aussi insignifiante pour moi. Non, Arago n'est pas un nouveau jeu ... mais à la fin de mes quelques explications, ses yeux ont brillé à l’évocation du méridien de Paris qui passe devant l’une de ses adresses favorites.
Nous arrivons place Pigalle, carrefour bien connu du Paris sulfureux, mais qui est en train de changer, comme l’attestent la présence du magasin bio et un projet de réaménagement de la place. Comme pour d’autres endroits de Paris, ce quartier de la Nouvelle Athènes est en phase de mutation sous l’effet d’un mouvement de gentrification, nouveau mot pour désigner ni plus ni moins un transfert de population. Et par la même occasion, le quartier prend un nouveau nom, celui de So Pi (South Pigalle), so trendy … La rue des Martyrs de mon enfance est touchée par le même phénomène et comme pour la rue Montorgueil, ses anciens commerces, de qualité mais populaires et simples, sont dorénavant occupés par des enseignes rajeunies et généralement plus chics. Le petit immeuble de la rue Clauzel où j’ai passé mes premières vingt années s’est considérablement arrangé lui aussi et le vieux magasin de tapis qui le jouxtait s’est dépoussiéré pour faire place à un élégant petit magasin d’articles vintage … Comme dit ma mère, il faut toujours regarder le verre à moitié plein !
L’histoire du café La Nouvelle Athènes illustre parfaitement bien les transformations successives du quartier de Pigalle :
à la fin du XIXème siècle, l’endroit qui servit de cadre à Degas pour son tableau L’Absinthe était fréquenté par les impressionnistes, les écrivains et les filles.
Dans les années 20, le café fut remplacé par labrasserie du Loup Garou et à l’étage par le New Monico, lieu de soupers dansants, qu’Atget photographia en 1925.
Puis dans les années cinquante, le lieu devint un club de strip-tease, le Narcisse, dont on peut voir l’enseigne fleurie dans les films noirs, comme du Rififi chez les hommes, excellentpolar en noir et blanc de Jules Dassin.
Aujourd’hui, le lieu assagi du centre de So Pi est l’enseigne d’un magasin bio.
Traversons le boulevard de Clichy et prenons la rue André Antoine, une curieuse rue en épingle à cheveux qui se termine par un escalier.
Le premier tronçon de la rue est embelli par une folie qui rappelle qu’autrefois ici, c’était la campagne. Une habitante de la rue, vénérable par son âge, de petite taille par ses origines mi-ariégeoise et d’un beau visage éclairé de yeux bleu rieurs de par ses origines mi-suédoise me rappela d’ailleurs que l’origine latine du mot folie veut dire feuilles. Elle me parla également de l’homme de théâtre André Antoine, créateur de la mise en scène moderne, qui fit scandale en accrochant de vrais morceaux de viande pour la pièce Les Bouchers en 1888, créée dans son Théâtre-Libre de Montmartre, situé alors dans cette rue.
Le deuxième tronçon de la rue est encombré de terrasses dès les beaux jours tout comme la rue des Abbesses dans laquelle nous tournons à gauche.
Nous prenons ensuite à droite la rue Ravignan qui débouche sur la jolie place pavée Emile Goudeau, où se trouvait le célèbre Bateau-Lavoir. Il s’agissait d’une vieille bâtisse de bois que son propriétaire compartimenta en 1889 en dix ateliers sans confort, ni eau courante, ni gaz, ni électricité et qui disparut dans un grand incendie en 1970. Les vingt cinq nouveaux ateliers que l’on voit aujourd’hui ont été reconstruits en 1978. Picasso y passa cinq ans de février 1904 à 1909 ; peintre maudit de vingt-quatre ans au moment des tableaux de la Période Bleue, il y réalisa toute la série de la Période Rose aux couleurs de son amour pour la Belle Fernande, ainsi que les Demoiselles d’Avignon, prélude du cubisme et de sa consécration. D’autres talents de cette époque passèrent au Bateau-Lavoir : Van Dongen, Derain, Modigliani, Juan Gris, Max Jacob tandis que s’y croisaient Pascin, Braque, Matisse, Apollinaire, Cocteau…
Prenons à gauche la rue d’Orchampt où au nr 1, deux ateliers rescapés de l’incendie donnent une idée du Bateau Lavoir originel.
Après un curieux coude surmonté d’une maison toute blanche où vécut la chanteuse Dalida, la rue devient plus étroite et prend une allure mystérieuse le long d’une muraille sans porte. Une adresse absolument idéale pour le Passe Muraille « cet excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans être incommodé », que Marcel Aymé domicilia d’ailleurs au 75bis de la rue, qui évidemment n’existe pas. On peut voir un peu plus loin au coin de la rue Norvins, le pauvre Dutilleul, sous les traits de son auteur Marcel Aymé, prisonnier de la muraille et figé dans son mouvement, grâce à la sculpure du très talentueux Jean-Marais.
Nous arrivons rue Lepic juste devant le Moulin du Radet, où nous étions arrivés par un autre chemin lors de la promenade de Montmartre.
Tout comme Dutilleul, les ailes des deux ultimes moulins de Montmartre, le Blute-Fin et le Radet sont elles aussi figées à jamais. Tous deux furent baptisés tour à tour Moulin de la Galette, mais c’est le Blute-Fin que peignit Renoir.
Prenons la rue Girardon et tournons dans l’avenue Junot d’où l’on pourra observer l’arrière du moulin le Blute-Fin, à défaut de voir la Mire du Nord, placée non loin par Jacques Cassini en 1736, pour servir d’alignement au Méridien de Paris par rapport à l’Observatoire au sud.
La très chic avenue Junot aligne une luxueuse courbe d’hôtels particuliers où avant la première guerre mondiale s'étalait une zone de pauvres habitations surnommée le Maquis. La photo d'Atget qui n’est pas sans évoquer les nombreux tableaux d’Utrillo, montre bien ce qu'était le Maquis, de petites cabanes entourées de jardins au pied de la haute carcasse de bois du moulin de la Galette.
Traversons l’avenue Junot pour nous engager dans le petit square par la petite impasse Girardon, autrefois impasse de la Fontaine Saint-Denis. Cette fontaine resta longtemps un lieu de fervents pèlerinages jusqu’à ce qu’elle soit avalée par une carrière de plâtre en 1810. La légende raconte que Saint-Denis, décapité, y aurait lavé sa tête, avant de poursuivre son chemin … Poursuivons le nôtre, la tête sur les épaules, traversons le square et prenons la rue Simon Dereure qui nous ramène avenue Junot.
Nous passons au niveau du Méridien à la hauteur du 45-47, qui a aussi perdu son médaillon Arago. Pierre Dac qui vécut au numéro 49 ne perdait pas le nord quand confronté à cette triple question métaphysique: "Qui somme nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? il répondait: "Je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne."
La promenade peut s’arrêter ici et si vous désirez retourner chez vous, vous pourrez rejoindre la station de métro Lamarck-Caulaincourt par les escaliers Pierre Dac.
Pour l’avoir néanmoins fait, le reste de la promenade jusqu’à la Porte Montmartre ne présente pas beaucoup d'intérêt, notamment au-delà des rues de la Fontaine du But et du Ruisseau dont les noms rappellent l’écoulement des eaux de la fameuse fontaine miraculeuse.
Texte / Photos : Martine Combes
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