Hora fugit - Un peu de Paris
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Suivons la rue Saint-Denis jusqu’à la rue Rambuteau pour rejoindre la rue du Temple au n° 71 et entrer dans la cour du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. Observez le mur qui longe l’aile gauche de la cour d’honneur. Ce qu’à vrai dire je n’avais jamais réellement bien fait lors de précédentes visites au musée. A première vue l’aile ponctuée de hautes fenêtres est en parfaite harmonie avec les autres façades de l’hôtel de Saint-Aignan. Cependant sa proximité avec l’immeuble voisin procure un sentiment étrange de vide.
Explication: le mur est factice avec de fausses fenêtres, il s’agit d’un mur renard pour les puristes. Et l’architecte Le Muet a effectivement bien rusé en recouvrant la muraille de Philippe Auguste passant à cet endroit pour ainsi composer une harmonie d’ensemble avec les autres ailes.
L'élégant hôtel de Claude de Mesmes construit en 1644 et acheté plus tard par le duc de Saint-Aignan, ministre et gendre de Colbert, a subi ensuite les dommages liés à l’histoire tourmentée des 18ème et 19ème siècles.
Sur la photo prise par Atget en 1901, on le voit occupé par des activités artisanales et assez dégradé par l’ajout d’étages supplémentaires. Il a retrouvé désormais toute son élégance.
Je dois avouer une certaine jubilation lorsque mon regard fut attiré par le pavage du trottoir et par des clous sur la chaussée. Pas de doute possible, je l’ai vérifié, ce marquage matérialise le tracé de la muraille qui s’enfonce aux niveaux des n° 3 et 5. Excitation totalement incomprise par les quelques piétons transformés à leur insu en passe-muraille.
Continuons par la rue des Francs-Bourgeois où nous nous arrêterons au n°55 pour entrer dans la cour du Crédit Municipal où une tour de l’enceinte de Philippe Auguste est visible dans la seconde cour. Il vous suffit de suivre l’ancien tracé de l’enceinte reproduit au sol. Vous la verrez, curieusement surmontée d’une tour en briques.
La partie basse de la tour fut découverte en 1879 lors de la démolition d’un immeuble.
Découverte qui ne faisait pas l’affaire de l’architecte en charge des nouveaux bâtiments pour le Crédit Municipal. Ne parvenant pas à la faire démolir, il n’hésita pas à la surmonter d’une tour en briques dans le même style que le nouvel immeuble.
Continuons par la rue des Francs-Bourgeois et entrons dans l’église Notre-Dame des Blancs Manteaux.
Admirons au passage la chaire, ornée de beaux panneaux de marqueterie.
Sortons par la rue des Blancs Manteaux et passons devant le square. La fortification de Philippe Auguste coupait l’espace occupé aujourd’hui par l’église à hauteur du choeur, puis celui du square Charles-Victor Langlois et se poursuivait le long de l’actuelle rue du Marché des Blancs-Manteaux.
A l’époque d’Atget, la rue des Guillemites se prolongeait jusqu’à la rue des Francs-Bourgeois. Le square fut aménagé plus tard dans les années 1960.Poursuivons jusqu’au croisement de la rue Vieille du Temple avec la rue du Marché des Blancs-Manteaux où nous pourrons croiser le fantôme du duc d’orléans tué près d’ici par les sbires de Jean Sans Peur.
Eglise Notre-Dame des Blancs-Manteaux
Angle rue des Guillemites et rue des Blancs-Manteaux
Atget - (Musée Carnavalet)
Continuons jusqu’à la rue des Hospitalières Saint-Gervais où l’enceinte se prolongeait autrefois à gauche de l’actuelle école. Au XIXème siècle, le bâtiment de l’école actuelle était autrefois occupé par la boucherie du marché. Les deux magnifiques têtes de boeuf en bronze étaient des fontaines dont l’eau s’écoulait dans des bassins semi-circulaires. Me viennent alors en mémoire ces quelques vers d’Apollinaire inspirés pour une autre raison, mais qui pour moi traduisent si bien ce que je ressens ici. De ces têtes assyriennes ne s’écoulent plus de blancs ruisseaux de Chanaan. Et ces plaques à la mémoire des enfants déportés rappelant un mauvais passé sont de “grandes plaies du brouillard sanguinolent où se lamentent les façades”. Car ici flotte toujours un refrain de la Chanson du Mal aimé.
Fontaine de la tête de Boeuf – Marché des Blancs Manteaux
6, rue des Hospitalières Saint-Gervais
Atget - 1906
(Médiathèque Architecture et Patrimoine)
En 1182, Philippe Auguste avait déjà expulsé de Paris la communauté juive. Mais des regrets mercantiles vers la fin de son règne l’amenèrent à vouloir désormais protéger leurs entreprises financières. La communauté juive revint dès lors s’implanter autour des rues toutes proches des Rosiers et des Ecouffes et former le noyau futur du quartier juif qui se développa à la fin du XIXème siècle sur une grande partie de ce quartier du marais.
Restons rue des Hospitalières Saint-Gervais et tournons à droite dans la rue des Rosiers. Entrons dans le petit jardin des Rosiers-Joseph Migneret à la mémoire de ce Juste, courageux directeur de l’école des Hospitalières de Saint-Gervais qui sauva de nombreux enfants juifs de la déportation. La lecture de la plaque commémorative à l’entrée du jardin, glaçante d’horreur rappelle le nom de tout petits enfants, certains des bébés.
Ouvert à l’arrière des hôtels d’Albret, Barbes et de Coulanges, ce jardin est une invitation à la pause à l’écart de la circulation. Cependant, il n’est plus le jardin tranquille qui faisait les délices de ma mère à sa création dans les années 2000. Elle était alors une des rares privilégiées à profiter presque seule de la douce quiétude de ce jardin alors peu connu des Parisiens et des touristes.
Le jardin est sur le tracé de l’enceinte de Philippe Auguste dont un vestige de tour est encore visible. Située dans les anciens jardins de l’hôtel d’Albret, la tour avait été convertie en salle à manger d’été puis en chapelle dont il reste encore des décors d’arcades.
La vue déconcertante de deux poulets au pied de la tour nous ramène à un temps lointain où la campagne existait ici.
Après cette petite pause, personnellement je peux y rester des heures, sortons à gauche dans la rue des Rosiers et prenons à gauche la rue Pavée jusquà son intersection avec la rue Mahler.
Ici le reste de mur n’a rien à voir avec l’enceinte, il s’agit d’un ancien mur de la prison de la Force aménagée en 1780 sur la propriété du duc de la Force qui la vendit en 1715.
Une prison annexe pour les femmes, nommée la Petite-Force, fut ensuite ajoutée. Durant les massacres de septembre 1792, plus de cent cinquante personnes y furent exécutées en trois jours, dont la princesse de Lamballe qui connut une fin atroce. La rue Mahler a été ouverte sur l’emplacement de la prison démolie en 1851.
Nous rejoignons maintenant la rue Saint-Antoine où s'élevait aux niveaux actuels des n°101 et 103 une des portes les plus importantes de l’enceinte, car elle ouvrait sur les routes de Meaux et de Sens. La rue Saint-Antoine, alors une artère fondamentale entre le Louvre et cette porte, en a gardé encore aujourd’hui son étroitesse médiévale sur ce tronçon. Au delà de la porte s’ouvrant à l’extérieur de la ville, les espaces étaient plus vastes. C’est pourquoi à partir d’ici, la rue Saint-Antoine double quasiment de largeur.
Prenons devant nous l’étroite rue du Prévôt qui a gardé un caractère médiéval et tournons à gauche dans la rue Charlemagne.
Au coin de la rue des Jardins-Saint-Paul d’où part une longue portion de l’enceinte, s’élèvent les vestiges d’une tour nommée la tour Montgomery. Elle doit son nom au comte Gabriel de Montgomery qui y aurait été enfermé après avoir involontairement blessé à mort Henri II en 1559 lors d’un tournoi rue Saint-Antoine.
La muraille de Philippe Auguste qui se poursuivait entre la rue Charlemagne et la rue de l’Ave-Maria fut ici complètement intégrée dans la construction du couvent des soeurs de l’Ave-Maria. Elle réapparut lorsque les maisons construites sur le côté externe de l’enceinte furent démolies en 1946.
On peut voir ces immeubles sur la photo prise par Atget. L’espace devenu libre au pied de l’enceinte est aujourd’hui un terrain de sport pour les élèves du lycée Charlemagne. Il s’agit ici du vestige le mieux conservé de l’enceinte.
Rue des Jardins-saint-Paul
Au fond, rue Charlemagne et
église Saint-Paul Saint-Louis
Atget - (Musée Carnavalet)
Ne manquez pas d’entrer dans les charmantes cours du Village Saint-Paul où sont installés de nombreux brocanteurs, ouverts le plus souvent le week-end.
L’enceinte se poursuivait jusqu’à la Seine devant l’ïle Saint-Louis, où s’élevait la Tour Barbeau, autre point de contrôle stratégique sur le fleuve. De là partaient de grosses chaînes arrimées sur des bateaux, traversaient un chenal qui coupait l’île Saint-louis alors inhabité et rejoignaient l’ensemble fortifié de la Tournelle.
Suite de la promenade - Rive Gauche
Texte / Photos : Martine Combes
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