Hora fugit - Un peu de Paris
L'ancien village de Montmartre, bien que devenu horriblement touristique, reste cependant cher à mon cœur car il évoque mon enfance, du temps où l’affluence déjà grande n'avait cependant pas encore entamé son charme d'autrefois.
Tous les jours, je voyais le Sacré-Cœur surplombant la rue des Martyrs telle une pavlova géante. Dès les beaux jours, Montmartre était un des buts de promenade favoris. Nous entamions la montée de la rue des Martyrs, bifurquions avenue Trudaine, traversions le square d’Anvers et entrions dans un autre village que le mien avec la démarcation très marquée par le boulevard Rochechouart. Nous montions la rue de Steinkerque qui à mon époque était surtout envahie par les étals colorés des marchands de tissus, aujourd’hui remplacés par de hideux magasins de souvenirs fabriqués loin de Paris et de la France. Si la promenade était avec ma mère, nous montions tranquillement par le square du Sacré-Cœur qui exhalait de fortes odeurs de buis ; si la promenade était avec mon arrière grand-mère ou avec ma chère Suzanne, la montée se la coulait plus douce et plus rapide par le funiculaire. Plus tard, adolescente, j’y montais un soir par semaine avec mon amie Sylvie où nous arrivions naturellement échauffées pour notre cours de danse contemporaine, avenue Junot, à l'atelier de Jacqueline Robinson.
Nous partirons du boulevard de Clichy où nous passerons devant ce grand emblème de Paris qu’est le Moulin Rouge.
La montée sera en douceur et progressive par la rue Lepic, les raides escaliers n’étant empruntés qu’à la descente. Cette rue est très vivante avec ses commerces, cafés et restaurants. Nous y verrons les deux moulins de la Galette, vestiges de ceux qui existaient autrefois sur la butte parfaitement exposée aux vents.
Arrivés sur la Butte, nous circulerons dans des rues qui ont été fréquentées et immortalisées par de nombreux peintres et artistes.
Nous rejoindrons le parvis du Sacré-Cœur, point le plus haut de Paris, avant de redescendre en direction du boulevard Rochechouart.
Les photos prises par Atget évoquent très bien le caractère de la Butte lorsque Montmartre était un village aux vieilles maisons rustiques à la fois lointain et proche de Paris. Ce Montmartre d’alors, sauvage et raviné n’a rien de commun avec le Montmartre d’aujourd’hui un peu truqué et muséifié à l’usage de la manne touristique.
Nous descendrons à la station de métro Blanche afin de commencer notre promenade boulevard de Clichy.
Avec le boulevard Rochechouart qu’il rejoint au croisement avec la rue des Martyrs, le boulevard Clichy est à l’emplacement de l’ancienne enceinte des Fermiers généraux. Peu agréables malgré l’effort d’aménagement du vaste terre plein central agrémenté d’arbres, de bancs et de pistes cyclables, ces deux artères bruyantes à quatre voies dégagent l’atmosphère toujours un peu miteuse et louche des peep-shows et des sex-shops de ce quartier de Pigalle. Nous quitterons ce boulevard du sexe dès que nous aurons passé le Moulin Rouge qui attire toujours de nombreux touristes, le temps d’une photo ou le soir pour le dîner spectacle.
Le Moulin-Rouge ouvert en 1889 a été décoré par Willette, qui eut le square du Sacré-Cœur à son nom jusqu’en 2004, depuis lors rebaptisé en mémoire de Louise Michel.
Ce lieu de renommée mondiale a été immortalisé par de nombreux tableaux et de films. Tout le monde a en tête les peintures de Toulouse Lautrec et le film de Jean Renoir évoquant les danseuses de french-cancan aux noms suggestifs : la Goulue, Valentin le Désossé, la môme Fromage, Grille d’Egout, Rayon d’Or, … Plus tard, de grands noms du music-hall s’y produisirent : Mistinguett, Joséphine Baker, Line Renaud …
Dans la toute proche Cité Véron, Jacques Prévert et Boris Vian partagèrent une terrasse surplombant le Moulin Rouge. L’anticlérical Prévert aimait réaliser des collages et l’un d’eux particulièrement blasphématoire représente le Christ cloué sur les ailes du Moulin Rouge.
En descendant le boulevard que nous quitterons à gauche rue Coustou, notre chemin est jalonné de sex-shops aux lourds rideaux tirés. L’industrie du sexe est de temps en temps remplacé par d’autres commerces tel que ce Monoprix qui s’élève à la place de deux cabarets jumeaux du Ciel et de l’Enfer, détruits en 1950. Reçus au Ciel par des moines et des anges, les clients étaient installés dans la salle du banquet céleste pour y boire la coupe sacrée de bière ou de cerises à l’eau de vie. Puis menés à l’étage, dans un décor d’étoiles pour assister à des représentations « célestes » ou plus lestes. A l’inverse, le cabaret voisin, l’Enfer, d’un rouge sanglant, avalait les damnés par la gueule béante d’un démon. Le bock de bière ou d’autres alcools, « poisons » et « philtres de sorcières » étaient servis dans une grotte, puis le client était emmené dans l’antre de Satan pour assister à des spectacles diaboliques …
Après le Moulin Rouge, allons voir le moulin de la Galette, ancien vrai moulin celui-là ! Pour cela, tournons à gauche dans la rue Coustou pour rejoindre la rue Lepic.
Nous passons devant le café des 2 Moulins, un des lieux de tournage du film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Son nom fait référence aux deux moulins de la rue Lepic: le Blute-Fin et le Radet, qui tous les deux furent baptisés tour à tour Moulin de la Galette. Mais la rue riche en commerçants et en références artistiques serpente longuement avant d’y arriver ; Si vous le souhaitez, à la hauteur de la rue des Abbesses, vous pouvez couper par la rue Tholozé où vous passerez devant une autre référence cinéphile ; non seulement à celle d’Amélie Poulain, qui y va au cinéma le vendredi soir, mais aussi à celles de Cocteau et d’Abel Gance qui furent les parrains de la très jolie salle de cinéma du Studio 28.
Le moulin dit le Blute-Fin, construit en 1622, se dresse au sommet de la colline dans l’axe de la rue Tholozé. C’est ce vieux moulin devenu salle de bal dans les années 1870 que Renoir peignit dans son tableau au Bal du Moulin de la Galette, exposé au Musée d’Orsay. C'est le dernier vrai moulin de la Butte.
Un peu plus loin, au coin de la rue Lepic et de la rue Girardon, le second moulin, dit le Radet, fut déplacé pour être à hauteur du Blute-Fin en 1834 et entre les deux moulins une maison fut convertie en guinguette servant des galettes confectionnées avec la farine des deux moulins, d’où son surnom de Bal de Moulin de la Galette. En 1923, il y eut un projet de déménagement qui fut abandonné pour ne pas endommager le moulin. Le moulin resta à son emplacement, sur un nouvel immeuble qui servit de studio de télévision, puis plus tard fut une deuxième fois remonté sur un nouveau restaurant. Restauré en 1978 (ses ailes l'ont été en 2001), il ne tourne plus. Sur la photo d'Atget prise en 1899, le Radet était au même endroit qu'aujourd'hui mais il était alors orienté face à la rue Lepic.
Prenons la rue Girardon jusqu’à la rue Norvins à droite. Contournons le vaste immeuble où vécut Céline de 1941 à 1944. Montons la rue de Norvins. Arrivés après la place Marcel Aymé où son passe-muraille surgit du mur et à peu près au niveau de la folie Sandrin, nous voyons surgir le dôme du Sacré-Cœur derrière les immeubles.
Pour les amoureux de passage à Paris, le Sacré-Cœur a une allure de Taj-Mahal.
Pour les catholiques pratiquants, il est un lieu de pèlerinage.
Quoiqu’il en soit, il est le deuxième site religieux de Paris le plus visité après celui de Notre-Dame de Paris.
Officiellement la construction de la Basilique est liée à un vœu national émis en décembre 1870 afin de délivrer Paris de ses occupants prussiens.
Plus controversé est le choix de la colline de Montmartre pour l’emplacement de la basilique, lequel pour beaucoup se serait inscrit dans la volonté d’instaurer un « ordre moral » suite aux évènements de la Commune de Paris qui démarrèrent le 18 mars 1871 précisément à Montmartre. Une insurrection y éclata lorsque les troupes essayèrent d'y récupérer les canons de l’armée. Rapidement l’insurrection gagna les quartiers populaires. Le gouvernement Thiers ayant quitté Paris pour gagner Versailles fut rejoint par les Parisiens des quartiers aisés. L’effervescence politique se fit grande et la Commune finalement proclamée s’organisa. De son côté l’armée de Thiers passa à l’action et les troupes entrèrent dans Paris le 21 mai. Débuta alors la Semaine Sanglante, où de terribles affrontements mirent fin à la Commune. C’est lors de cette semaine que de nombreux bâtiments parisiens tels que l’Hôtel de Ville et le Palais des Tuileries furent détruits et incendiés.
En mai 1873, le gouvernement de Mac-Mahon instaura l’Ordre Moral et c’est dans cet esprit que le 23 juillet 1873, l’Assemblée nationale adopta une loi déclarant d'utilité publique la construction d'une basilique dédiée au Sacré-Cœur sur la colline de Montmartre.
En 1893, dans le dernier volume de la trilogie Les trois Villes : Paris, Emile Zola a exprimé son désaveu de l’Ordre Moral et du Vœu National. Un des personnages, Guillaume Clément exprime ainsi son grand malaise :
« Ah ! ils ont bien choisi leur emplacement, et quelle stupidité de leur avoir laissé prendre ! … Je ne connais pas de non-sens plus imbécile, Paris couronné, dominé par ce temple idolâtre, bâti à la glorification de l’absurde. Une telle impudence, un tel soufflet donné à la raison, après tant de travail, tant de siècles de science et de lutte ! ».
Prenons sur notre gauche la rue des Saules.
Dans son livre de souvenirs, Montmartre à vingt ans, Francis Carco raconte ses amitiés de jeunesse avec les peintres et les poètes de sa génération quand ils partageaient la même et fraternelle misère. Leur bande se retrouvait très souvent au Lapin Agile et dès les beaux jours se retrouvait sur la petite terrasse de l’auberge autour d’une grande table abritée par l’acacia. Il raconte comment le peintre catalan Ramon Pichot fit l’acquisition de la petite maison au coin rue de l’Abreuvoir et des Saules :
« Pichot, à la longue silhouette d’un Quichotte authentique, apparaissait, chaussé d’espadrilles blanches : il avait déniché dans l’antre d’un antiquaire une toile de Zurbaran, s’en était séparé au prix fort et, sans s’étonner autrement de sa chance, avait acheté, à l’angle de la rue de l’Abreuvoir, une maisonnette dont il avait crépi lui-même l’humble façade d’un rose vif de bonbon anglais. »
Pour notre plus grand plaisir, cette bonbonnière croquée par Utrillo en 1909 est toujours délicieusement là.
L’écrivain Mac Orlan, qui se passionna pour le cinéma et également pour la photographie vécut dans cette rue. J’ai bien évidemment une pensée spécifique pour cet auteur qui écrivit en 1930 ces lignes sur Eugène Atget :
« J’ai rencontré le père Atget, une fois par hasard. Il vendait à ce moment-là des portraits de boutiques et de filles pour servir de documents à des peintres. Cet ancien homme de théâtre était impénétrable. Tout d’abord parce que personne ne cherchait à le comprendre et à comprendre la profonde valeur de son œuvre. Atget était un homme de la rue, un artisan Poète des carrefours de Paris. Il n’annonçait pas son emploi par un chant approprié, mais on apercevait sa silhouette haute, un peu voûtée, portant un appareil sur trois pieds, entre la marchande des quatre saisons, le rempailleur de chaises, et le chevrier et sa flûte de Pan. Les modèles l’accueillaient avec amitié. Il travaillait et aimait les spectacles de son travail avec une tendresse qu’on pourrait comparer à celle du douanier Rousseau, en tenant compte toutefois, qu’Atget était un homme cultivé, c'est-à-dire parfaitement au courant des ressources des instruments et de la technique dont il se servait (…). Le Paris d’Atget n’est plus pour beaucoup parmi nous qu’un souvenir d’une délicatesse déjà mystérieuse. Il vaut tous les livres écrits sur ce sujet. Il permettra, sans doute, d’en écrire d’autres. »
Au bout de la rue de l’abreuvoir, nous arrivons sur l’étroite place Dalida, où un buste en bronze de la chanteuse s’offre aux mains de passants, certains persuadés d’en recevoir des pouvoirs magiques, ou d'autres se donnant l’illusion de caresser les nichons d’une célébrité.
Avant de prendre l’escalier de la rue Girardon qui nous mène à la place Constantin-Pecqueur, arrêtons-nous devant le château des Brouillards. Autrefois, l’origine des brumes à cet endroit venait, dit-on, des vapeurs d’eau formées par le contact de sources avoisinantes avec l’air frais. C’est la raison du titre que donne Mac-Orlan à son roman Quai des Brumes situé à Montmartre. En adaptant le roman pour son film, Marcel Carné a transposé le lieu de l’histoire au Havre.
Arrivés sur la place Constantin Pecqueur, prenons à droite la rue Saint-Vincent.
En montant la rue Saint-Vincent, le cabaret du Lapin Agile est devant nous au coin de la rue des Saules. On ne peut pas manquer cette maison campagnarde à la palissade verte. En 1880, le caricaturiste André Gill peignit sa célèbre enseigne figurant un gai lapin bondissant d’une casserole. Le nom de ce coin fréquenté par tous les artistes bohèmes de cette époque passa du Lapin à Gill, au Lapin Agile.
Cette buvette qui eut auparavant des noms évocateurs : Au rendez-vous des Voleurs, puis Cabaret des Assassins gagna sa notoriété lorsqu’elle fut rachetée en 1902 par le chansonnier Aristide Bruant qui en confia la direction à Frédé. Cet endroit fut le rendez-vous des peintres et des poètes de la butte jusqu’à la première guerre mondiale et fut notamment fréquenté par les artistes du Bateau-lavoir tout proche : Picasso, Juan Gris, Braque, Max Jacob …
Cependant, n’allons pas nous imaginer un doux endroit bucolique, à cette époque Montmartre était aussi le rendez-vous de toute une pègre. Le fils de Frédé se fit descendre d’une balle dans la tête, au comptoir même du cabaret, comme en un sinistre rappel du premier nom de l’établissement. Mac-Orlan dresse ainsi dans son livre de souvenirs sur Montmartre une longue liste d’exécutions parmi les habitués du Lapin.
Le vaste jardin de la maison d’Aristide Bruant était à l’emplacement des vignes, derrière le haut mur que l’on voit sur la photo prise par Atget. Avec un peu d’imagination et en s'aidant du portrait réalisé par Toulouse-Lautrec, on peut l'imaginer parcourir cet espace de ses grosses bottes foulant le pavé et se tenir ici devant le Lapin Agile, emmitouflé dans son large macfarlane noir et son écharpe rouge, la tête coiffée d’un large chapeau de feutre.
Aujourd’hui, le vignoble de Montmartre a remplacé son jardin. A côté se trouve le jardin sauvage Saint-Vincent, plus espace sauvage que jardin de ville, avec sa mare peuplée de crapauds, son fouillis d’herbes folles et sa végétation de sous-bois. Est-il les soirs de brume et d’hiver envahis par les fantômes de ceux chantés par Bruant, ce peuple de bohèmes, de pauvres gens et de pauvres filles :
A' travaillait déjà pour vivre
et les soirs de givre,
dans l'froid noir et glaçant,
son p'tit fichu sur les épaules,
a' rentrait par la rue des Saules,
rue Saint-Vincent.
Devant nous à l’angle de la rue des Saules et de la rue Saint-Vincent, s’étage la vigne du clos de Montmartre, plantée en 1933. Le terrain exposé au Nord n’a pas été choisi pour son ensoleillement mais fut le résultat d’un plan de sauvegarde contre un projet immobilier. Sous l’action de Francisque Poulbot appuyée par la République de Montmartre, le terrain laissé en friche fut donc planté de vignes en perpétuant ainsi la tradition vinicole de la Butte. Lors de ma dernière promenade, trois personnes du service des parcs et jardins de la Ville de Paris étaient en train de tailler la vigne qui reçoit régulièrement les soins d’un œnologue et d’un vigneron des vignes de la Ville de Paris. Quand viendra le temps de la vendange, le raisin de cépages gamay et pinot noir sera amené dans les sous-sols de la mairie du XVIII° pour y être pressé et mis en bouteilles.
Prenons la rue Cortot à gauche.
Sur la gauche s’élève une vieille maison qui abrite le musée de Montmartre pour lequel j’ai lu de nombreuses critiques. Pour ma part, même si les collections de tableaux n’atteignent pas la qualité d’autres grands musées de la capitale et si certaines salles peuvent offrir un intérêt limité aux érudits, je le trouve néanmoins attrayant car il raconte de façon très vivante la vie de la Butte et de ses artistes d’autrefois. On y trouve quelques images de la Commune, de belles photos, la reconstitution d’un vieux bistro de la rue de l’Abreuvoir, le théâtre d’ombres du Chat Noir, l’atelier de Suzanne Valadon qui l’habita avec son fils Maurice Utrillo. Cette ancienne maison servit aussi de logement à d’autres artistes : Renoir, Raoul Dufy … Le jardin donnant sur la vigne de Montmartre est un havre de paix où il est très agréable de se reposer.
Erik Satie a vécut dans cette maison entre 1890 et 1898. Il y composa entre de nombreuses partitions les Gnossiennes. Vraisemblablement suite à sa brève et tumultueuse passion avec sa voisine Suzanne Valadon, il y écrivit aussi Vexations; il s'agit d'une œuvre incroyable, un motif au piano à jouer 840 fois de suite et qui selon l’exécution peut varier entre quatorze et vingt-quatre heures.
Au bout de la rue, le curieux édifice crénelé et surmonté d’un chemin de ronde est le deuxième château d’eau construit à Montmartre en 1927, le premier ayant été édifié rue Norvins en 1835 et qui abrite aujourd’hui la Commanderie des vignes du Clos-Montmartre. Son architecture, tout comme celle du réservoir construit en 1887 se marie avec celle de la basilique toute proche. Au pied des escaliers du Sacré-Cœur, l’usine élévatrice de la place Saint-Pierre alimente le réservoir d’une capacité de onze mille mètres cubes.
Le château d’eau est entouré par un petit square essentiellement fréquenté par le personnel de l’Eau de Paris qui assure la surveillance et la maintenance du château d’eau. Il est agréable de faire une pause dans ce square qui rend hommage à Claude Charpentier qui fut très actif dans la protection de secteurs parisiens dans le cadre de la loi Malraux. C’est lui qui restaura le Bateau Lavoir en 1978 après un incendie qui le dévasta en 1970.
En 1921, cinq ans avant sa destruction, Atget a photographié au 18, rue du Mont-Cenis la cour d’une rustique maison réputée pour être celle de Mimi Pinson. Une autre photo prise en 1889 montre cette modeste maison représentée sur de nombreux tableaux peints par Maurice Utrillo. La maison de Mimi Pinson, reconnaissable à ses deux mansardes était accolée à une haute maison où Hector Berlioz a vécu.
La maison où vécut Berlioz a été remplacée par un immeuble dont les bas-reliefs sont censés représenter le vieil ensemble de maisons, immortalisés par Atget et Utrillo.
Personnage d’un poème et d’un conte d’Alfred Musset, Mimi Pinson est une jeune fille, pauvre et jolie. De la condition de celles que l’on appelait au 19ème siècle les grisettes, jeunes couturières aux robes grises. A-t-elle vraiment existé ? A-t-elle réellement vécu dans cette maison ? Pour moi la question est sans importance. Il me plait de penser que Musset se soit inspirée d’une jeune montmartroise au profil affirmé de jolie fille libre et républicaine ayant participé aux Trois Glorieuses, tout un symbole pour ce village de Paris.
Mimi n'a pas l'âme vulgaire,
Mais son coeur est républicain :
Aux trois jours elle a fait la guerre,
Landerirette !
En casaquin.
A défaut d'une hallebarde,
On l'a vue avec son poinçon
Monter la garde.
Heureux qui mettra sa cocarde
Au bonnet de Mimi Pinson !
Prenons la rue du Mont-Cenis jusqu’à la rue Saint-Rustique qui date du Xème siècle.
Selon la légende, Rustique, fut avec Eleuthère les compagnons de martyre de Saint-Denis … et qui aurait ainsi donner le nom à Montmartre : mont des Martyrs (mons Martyrium). Néanmoins, l’étymologie du nom de Montmartre reste une controverse. D’autres attribuent l’origine du nom à mons Mercurii (mont de Mercure) ou a mons Martis (mont de Mars) car au temps de l’occupation romaine, la butte était surmontée de deux temples consacrés à ces divinités.
En haut de la rue des Martyrs, une crypte, au 11, rue Yvonne le Tac, a été bâtie là où aurait eu lieu les décapitations de Denis, Eleuthère et Rustique. C’est aussi là que le fondateur de l’ordre des Jésuites, Ignace de Loyola, prononça ses vœux le 15 août 1534 dans la chapelle attachée au Martyrium.
Continuons rue du Mont-Cenis jusqu'à la rue du Chevalier de la Barre à gauche.
Devant nous se dressent les blanches coupoles de la basilique. Sur notre droite, se dresse le clocher d’une des plus anciennes églises de Paris, Saint-Pierre de Montmartre dont l’entrée se trouve près de la place du Tertre au 2, rue Mont-Cenis.
Vision à son comble lorsque l’on sait que le Chevalier de la Barre a été supplicié à l’âge de vingt ans pour avoir montré une attitude irrespectueuse envers la religion. Montmartre est un curieux endroit où l'on ne se s'embarrasse pas de paradoxe ... le square Louise Michel est en bas de la basilique et la mémoire de ce jeune noble torturé, décapité et enfin brûlé y est honorée d’une rue et d’une statue dans le square Nadar tout proche...
Le Chevalier de la Barre n’est cependant pas né du temps de l’inquisition, non, il est né en 1765 à Férolles ; orphelin de mère à neuf ans, puis de père à dix sept-ans il est envoyé chez une cousine, abbesse à Abbeville. Son jugement en plein siècle des Lumières ? « Convaincu d'avoir passé à vingt-cinq pas d'une procession sans ôter son chapeau qu'il avait sur sa tête, sans se mettre à genoux, d'avoir chanté une chanson impie, d'avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le dictionnaire philosophique du sieur Voltaire » …
C’est en 1885 que cette voie la plus proche du Sacré-Cœur fut nommée en souvenir du jeune homme par le conseil municipal de Paris, sans doute dans ce même esprit d'ordre moral ...
Tournons à droite dans la rue du Cardinal Guibert pour profiter de la vue depuis le parvis du Sacré-Cœur. C’est toujours un beau spectacle que de voir cette mer de toits grise ou bleue selon la lumière même si de plus en plus les voiles de pollution viennent en perturber la vision. Certains toits et dômes sont parfaitement reconnaissables, d’autres moins faciles à identifier.
Revenons rue du Cardinal Guibert et rendons-nous maintenant place du Tertre par la rue Azaïs, puis à droite par la rue du Mont-Cenis et à gauche la rue Norvins.
« Une place carrée de petite ville de province, plantée d’arbres maigres, bordée d’humbles boutiques, la fruitière, l’épicier, le boulanger. »
Paris – Zola
On retrouve cette atmosphère de place provinciale sur la photo prise par Atget en 1924. Il en est fini de cette atmosphère. L'endroit est assailli par les touristes déversés à flots par les cars. A l’emplacement des humbles commerçants décrits par Zola, les restaurants et cafés alignent leurs terrasses le plus souvent bondées. Terrasses moches et criardes aux allures de tentes de cirque, installées sur la place où se tenaient autrefois les peintres. Seuls quelques uns occupent le pourtour de la place où pas un mètre carré qui ne soit dévolu à la consommation de masse. Les photos d’Atget qui nous accompagnent ici sont d’autant plus émouvantes.
Contournons la place jusqu’au n°11 où nous débouchons sur la place du Calvaire, la plus petite place de Paris.
« Cette rue qui n’est qu’un escalier interminable, d’une raideur d’échelle. »
Paris – Zola
Il vaut mieux effectivement la descendre car la monter peut être un … calvaire. Cependant, elle ne doit pas son nom à la difficulté qu’on peut avoir à la gravir, mais à la présence du calvaire de l’église Saint-Pierre. Le chemin, autrefois le plus escarpé de la Butte a été aménagé en escaliers vers 1845.
Aujourd’hui plutôt envahie par la végétation des jardins cachés à la vue par de hauts murs, elle prend un caractère rustique et souriant qu’elle n’avait pas autrefois.
Empruntons la rue Gabrielle à gauche, puis la rue Drevet et ses escaliers, et à gauche la rue des Trois-Frères jusqu’à la rue Dancourt pour gagner la place Charles-Dullin où se trouve le théâtre de l’Atelier.
Quand Atget prit la photo de la place en 1900, elle s’appelait alors place Dancourt et le théâtre inauguré en 1822 était alors le théâtre de Montmartre. Parce qu’il connaissait le lieu mystérieux où Louis XVI et Marie-Antoinette avaient été enterrés, l’artiste de vaudeville Séveste avait obtenu de Louis XVIII le privilège de pouvoir exploiter les théâtres en dehors des murs de Paris. Il lança ainsi plusieurs théâtres tels que les théâtres de Montmartre, de Montparnasse, des Batignolles, de Belleville et de Grenelle.
C’est en 1957 que la place prit le nom de Charles Dullin en hommage à celui qui reprit le théâtre de Montmartre en 1922 et qui en fît le théâtre de l’Atelier. Grand comédien, il fonda le cartel des quatre avec trois autres grands metteurs en scène et directeurs de théâtre : Louis Jouvet, Georges Pitoëff et Gaston Baty et sut insuffler un nouveau courant théâtral en privilégiant le texte mis en avant dans des mises en scène modernes.
Son successeur, un grand nom du théâtre, André Barsacq, y fit jouer des auteurs contemporains tels que Jean Anouilh, Marcel Aymé, Paul Claudel, Félicien Marceau, Françoise Sagan. Dans le sillage du cartel des quatre, il fonda en 1958 le nouveau cartel avec Jean-Louis Barrault, Jean Mercure et Raymond Rouleau.
Revenons rue Dancourt et continuons jusqu’au boulevard Rochechouart.
La partie de ce boulevard que nous allons emprunter jusqu’à la station de métro Anvers est bordée d’un côté de boutiques bon marché pour touristes et de l’autre par le lycée Jacques Decourt. Ce boulevard, dans la continuité du boulevard de Clichy que nous avons pris au début de la promenade a été construit à l’emplacement de l’enceinte des Fermiers généraux (ou mur de l’octroi). Curieusement, il a gardé en quelque sorte une vocation de barrière que j’ai toujours connue car en le traversant j’ai toujours ressenti une sensation de frontière. Non seulement, parce qu’il marque véritablement une limite administrative entre le 9ème et le 18ème, une limite physique entre Montmartre et le reste de Paris, mais aussi parce qu’il s’en dégage une nette sensation de deux mondes complètement différents.
Au n°80, le Trianon lyrique a été construit sur l’ancien jardin de l’Elysée-Montmartre, situé au n° 72 et qui était l’un des plus anciens bals de Montmartre où se produisirent avant le Moulin Rouge, les célèbres « chahuteuses » de Montmartre, Grille d’Egout et la Goulue.
C‘est précisément pour concurrencer le Moulin Rouge que fut ouvert le Trianon Concert. Pour cela, on supprima le jardin de l’Elysée Montmartre.
Fort bien restaurés, Le Trianon et l’Elysée Montmartre sont aujourd’hui des salles de spectacles et de concerts.
Texte / Photos : Martine Combes
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