Hora fugit - Un peu de Paris
A la fin de la promenade sur le thème du Paris Médiéval – Rive droite, nous avons atteint le quartier du Temple. Pour moi, il évoque surtout le quartier où le jeudi matin, j’accompagnais mon arrière-grand-père, horloger, qui venait s’y approvisionner en pièces chez Vénot, rue du Temple. Aux beaux jours, nous faisions toujours une halte au square du Temple.
Cette promenade se concentre autour de l'ancien domaine des Templiers; principalement rue du Temple, le square du Temple, le Carreau du Temple.
La rue du Temple doit son nom au vaste domaine des Templiers dont la puissance était alors très grande. L’ordre des Templiers, à la fois religieux et militaire, fondé en 1118 par neuf chevaliers, avait pour mission d’escorter les pèlerins en Terre Sainte et de défendre le Saint-Sépulcre.
Le nom de Templiers a pour origine la demeure qui leur avait été attribuée par le roi de Jérusalem, Beaudoin II, et qui était située à côté de l’emplacement du Temple de Salomon.
Les Templiers, autant soldats que moines, devaient faire vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, selon la règle stricte de Saint Bernard. Mais les dons considérables qu’ils reçurent lors des Croisades les rendirent toutefois très riches. Lorsqu’au fil du temps, leur rôle militaire fut terminé, ils conservèrent néanmoins un très grand prestige auprès des rois qui leur accordèrent un grand nombre de privilèges, dont celui d’être exemptés d’impôts. Leur puissance financière était telle que l'on peut lire qu'ils possédèrent jusqu’à neuf mille châteaux en Europe.
A Paris, ils s‘installèrent tout d’abord à proximité de la Seine, rue de Lobau, où ils défrichèrent une partie des marais. Puis dans la seconde moitié du XIIème siècle, ils se fixèrent sur un vaste territoire plus au nord. Dans cet espace alors campagnard au milieu des champs, ils bâtirent un cloître qu’ils protégèrent de remparts et d’un énorme donjon.
L’enclos du Temple devint ainsi une petite ville dans la ville, jouissant d’énormes privilèges. Quiconque avait franchi le pont-levis se trouvait protégé moyennant une somme à verser au percepteur du Grand Maître.
En 1307, Philippe le Bel, en quête d’argent, récupéra la richesse des Templiers en les inculpant d’hérésie. Pendant que l’on vidait le Temple, les commissaires de l'Inquisition soumettaient les Templiers à la torture accusés de leurs rapports avec le Diable. Après plus de six ans au cachot, Jacques de Molay fut emmené sur un bûcher à la pointe de l’île aux Juifs, aujourd'hui Place Dauphine et le Vert-Galant. C’est sur ce bûcher qu’il lança sa malédiction célèbre sur la malédiction des rois de France sur treize générations.
La maison du Temple fut ensuite transérée à l’Ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, appelé plus tard l’Ordre des Chevaliers de Malte qui la conserva jusqu’à la Révolution. Le Grand Prieur de l’Ordre de Malte succéda au Grand Maître des Templiers.
Par un curieux tour de l’histoire, la malédiction de Jacques de Molay semble s’être étendue jusqu’aux années sombres de la Révolution avec la captivité de Louis XVI dans le donjon-prison du Grand Maître. A la Révolution, il ne subsiste alors essentiellement que le palais du Grand Prieur, rebâti au XVIIème siècle et une grosse tour abandonnée choisie le 13 août 1792 pour incarcérer Louis XVI et sa famille. Le donjon du Temple se situait à l’emplacement de la rue Eugène-Spuller, entre le square du Temple et la mairie du 3ème arrondissement. Louis XVI y resta jusqu’à son procès et son exécution le 21 janvier 1793 place de la Concorde. Marie-Antoinette fut transférée à la Conciergerie le 2 août 1793 et exécutée le 16 octobre 1793.
« On la réveille - dormait-elle ? … elle embrasse sa fille et sa belle-sœur - depuis un mois son fils lui a été enlevé - et descend l’escalier de la Tour. Dans la nuit étouffante et lourde elle traverse, entourée de commissaires et de soldats, le jardin silencieux du Temple, non sans se retourner, sans doute, ainsi que l’a fait Louis XVI au 21 janvier, vers cette Tour qui se dresse, énorme et sinistre, dans l’ombre ; un fiacre attend au perron du Palais ; la grand porte tourne et livre passage ; on traverse au trot des chevaux la ville endormie ; »
La Captivité et la mort de Marie-Antoinette - G. Lenôtre.
Officiellement, le dauphin Louis XVII, séparé de sa mère le 3 juillet 1793, y mourut, le 8 juin 1795, à l’âge de 10 ans, totalement isolé et privé de soins. Cependant, la thèse officielle n'a jamais pu être prouvée et l’énigme du Temple n’est toujours pas résolue.
Cette sinistre tour qui resta prison d’état sous la Révolution fut rasée sur ordre de Napoléon en 1808.
Avec cette maison photographiée par Atget située au 77, rue du Temple, nous restons à cette terrible époque que fut la Révolution. Une plaque apposée sur la façade indique aux passants curieux que cette maison fut habitée en 1791 par Jean-Baptiste Bouchotte, 1754 - 1840, Ministre de la guerre sous la Convention.
Mais qui était Bouchotte ? Dans son livre sur Charette, personnage qui a joué un rôle essentiel dans la guerre de Vendée sous la Terreur, l’historien G. Lenôtre nous le décrit :
« … pas méchant, laborieux, foncièrement probe, animé de bonnes intentions, ce chef suprême de l’armée s’affirme doué d’une singulière aptitude à favoriser les incapables et d’une prédilection non moins étonnante pour les sacripants. Il fut le Mécène des incompétences. Républicain dans l’âme, il jugea que son premier devoir était de démocratiser l’armée et les bureaux de son ministère ; »
Cette description peu flatteuse trouve un écho avec cette phrase de Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize à propos de Cimourdain, l’envoyé du Comité de Salut Public:
« Personne aujourd'hui ne sait son nom. L'histoire a de ces inconnus terribles. »
Nous longeons le square du Temple et nous tournons à droite dans la rue du Petit Thouars.
Nous sommes dans le quartier du Carreau du Temple, autrefois dédié à la fripe depuis la fin du XVIIIème siècle. Le marché des vieux linges, habits et chiffons se tenait dans une vaste halle dont plus de 1800 boutiques étaient réparties dans quatre pavillons traversés par quatre rues aux noms de navigateurs : Cafarelli, Dupetit-Thouars, Dupuis et Perrée.
Certains de ces pavillons avaient des surnoms évocateurs : le Pou-Volant était spécialisé dans la ferraille et la friperie, la Forêt-Noire dans les chaussures. L'endroit où les vendeurs déposaient leurs marchandises à même le sol, sur le "carreau", était appelé le Carreau du Temple. Cette dénomination subsista avec la démolition de ces bâtiments en 1863 pour laisser place à un vaste marché, dit du Carreau du Temple, composé de pavillons à structure métallique, où fut accueillie en 1904 la première Foire de Paris. Dégradé au fil du temps, le Carreau du Temple a failli disparaître avant d'être transformé au début des années 2000. Les deux pavillons sauvegardés sont aujourd'hui dédiés au sport et à la culture. Aux alentours, les vieux magasins de fripe ont fait place à des galeries, magasins de mode, restaurants et bars branchés …
Sur notre gauche, la rue de la Corderie se situe sur l’emplacement d’un des murs de la fortification qui protégeait autrefois l’enclos du Temple et les vastes richesses des Templiers. Cette muraille était défendue par deux donjons, le donjon du Temple où furent incarcérés plus tard Louis XVI et sa famille et la tour dite de César. En plus de ses richesses, l'Ordre recevait aussi en dépôt une partie des trésors royaux et faisait aussi office de banque.
Les Templiers bénéficiaient également de deux privilèges importants : le droit d’asile et le droit de franchise. Toute personne qui se réfugiait dans leur enceinte échappait à la justice, hormis pour les crimes de sang ; les nombreux artisans pouvaient y exercer leurs métiers et leurs commerces en dehors du contrôle et des redevances aux corporations.
La rue fut tracée en 1809 lors de la construction de la Halle au Vieux Linge.
De nos jours, plus rien ne subsiste des magasins de friperie et des revendeurs de vieilles tenues militaires.
La rue fut tracée en 1809 lors de la construction de la Halle au Vieux Linge.
De nos jours, plus rien ne subsiste des magasins de friperie et des revendeurs de vieilles tenues militaires.
Revenons vers le Carreau du Temple et prenons la rue Eugène Spuller qui nous ramène au square du Temple. Arrivés rue des Archives, nous prenons la rue Portefoin à droite.
Bien qu'autrefois des champs s'étendaient autour du Temple médiéval, le nom de la rue n'a rien de la campagne. Il vient simplement d'une déformation du nom initial, rue Porte-Fin, celui d'un propriétaire qui y habita.
A côté de l’hôtel de Breteuil, au 14, au beau portail se trouvait autrefois l'hôtel de Turgot démoli en 1894. Je fais référence à Turgot, prévôt des marchands de Paris, car passionné de cartographie, il chargea Louis Bretez d’exécuter un plan de Paris qui parut en 1739. Pour les passionnés du Vieux Paris, le plan de Turgot, est très précieux. On ne peut guère le consulter facilement car il est de très grande dimension, découpé en vingt planches. De plus pour le comprendre, il faut le faire pivoter de 125° vers la droite car son orientation utilise la Seine comme axe vertical de symétrie.
Voici la planche qui montre le quartier du Temple tel qu'il était avant sa démolition:
- A gauche on peut y voir la Courtille, aujourd’hui une partie du quartier de Belleville, qui était un site champêtre connu pour ses guinguettes.
- Au milieu, le faubourg du Temple, autrefois principalement occupé par des cultures et délimité par le mail sur l’emplacement de l’enceinte Charles V, la Porte du Temple qui deviendra la Place de la République.
Dans la partie droite du plan, l’enclos du Temple tel qu’il était en 1739 et dont il ne subsiste rien de nos jours, hormis la tour située entre la rue de Charlot et la rue de Picardie (on peut voir l'intérieur de la tour au fond du restaurant situé au 32, rue de Picardie).
On peut y voir le donjon en haut à droite, détruit en 1811
le palais du Grand Prieur en bas à droite, détruit en 1853,
l’église démolie sous la Révolution
et l’entrée de l’enclos qui correspond aujourd’hui au 158 bis rue du Temple.
Nous quittons maintenant le quartier situé sur l’emplacement de l’enclos du Temple proprement dit. Toutefois, nous restons dans un quartier créé par les Templiers entre leur enclos et l’enceinte de Philippe Auguste.
Au 83 rue des Archives, le bâtiment recouvert de tags a été bâti au XVIIème siècle sur un terrain qui faisait autrefois partie de l’hôpital des Enfants Rouges. Cet hôpital fut fondé par François 1er et sa soeur Marguerite de Navarre en 1534 pour y accueillir des orphelins, les Enfants-Dieu, habillés de drap rouge ce qui leur valut cette dénomination d’Enfants-Rouges.
A proximité, rue de Bretagne se trouve le petit marché couvert des Enfants-Rouges (fin promenade Arts et Métiers). Ce marché créé en 1615, devait approvisionner le quartier du Temple, et vendre « volailles, gibiers, viande de boucherie et toutes sortes de denrées ». Ce marché devait aussi permettre l'approvisionnement du nouveau quartier devant célébrer les provinces de France. Après la décision de construire la place Royale, aujourd'hui Place des Vosges, Henri IV souhaita aussi la réalisation de la place de France d'où rayonneraient des rues célébrant les provinces et les grandes villes de France. Mais l'assassinat de Henri IV en 1610 mit fin au projet et la place ne vit jamais le jour. Cependant, on retrouve le tracé en éventail du projet entre les rues de Normandie, de Bretagne et de Poitou et Vieille du Temple. Les noms des rues de Picardie, de Beauce, de Saintonge et du Perche rappellent également ce projet.
Cette splendide demeure appartenait au début du XVIIIème siècle au comte de Tallard, maréchal de France qui fut ministre d'état en 1726.
Piganiol de la Force admirait l'hôtel et son élégant escalier, qu'il disait être un des plus beaux de Paris.
Au XIXème siècle, utilisée par des activités commerciales, elle subit alors d'importantes dégradations. On peut en juger par la photo d'Atget. Depuis son importante rénovation en 1981, elle a retrouvé toute son élégance …
Poursuivons rue des Archives jusqu'à la rue Pastourelle à droite jusqu'à la curieuse ruelle Sourdis. Entre la photo d'Atget au superbe effet de perspective prise en 1898 et aujourd'hui, rien n’a changé: le caniveau central, le vieux pavage, les bornes de pierre et les tourelles en surplomb qui semblent se rejoindre et former un pont., tout est resté.
Revenons rue des Archives.
Le côté impair de la rue des Archives a beaucoup perdu de ses maisons anciennes; ainsi, notamment, entre le 61 et le 67, trois hôtels anciens ont été démolis et remplacés par le Central téléphonique construit en 1934.
Sa porte qui peut se rattacher à l’esprit de l’Art Nouveau par l’utilisation des motifs végétaux pour la grille et de la souplesse de mouvement des deux femmes sculptées a été réalisée par le sculpteur Jean Boucher.
Si les maisons côté pair n'ont pas été démolies, elles peuvent aussi avoir été modifiées; ainsi l'hôtel de Villeflix, maître de la Chambre aux Deniers du roi,
a été très modifié et a notamment perdu son jardin autrefois agrémenté d'une fontaine. Cette fontaine du XVIIIème siècle figure un homme et une femme enlacés autour d’une urne d’où s’échappe une eau limpide; il s’agit non pas d’une composition pour représenter les dépenses du roi mais d’une autre allégorie de l'eau qui se retrouve assez souvent comme à la fontaine des Haudriettes. Aujourd'hui, des ateliers ont été bâtis sur l’emplacement de l’ancien jardin et cachent la fontaine, privée dorénavant de son cadre de verdure.
Cette fontaine du XVIIIème siècle représente une naïade appuyée contre une urne.
Sur la photo prise par Atget, on peut voir qu’autrefois la fontaine était adossée aux maisons faisant l’angle de la rue des Archives et de la rue des Haudriettes. C’est lors de l’élargissement du carrefour en 1933, que la fontaine fut démontée et replacée en avant des immeubles.
Au 7, le petit hôtel de Mesmes a été superbement restauré. La grille qui a remplacé les anciens vantaux permet d’admirer la cour et le corps de logis joliment mis en valeur.
Au 8bis, l’Hôtel de Chaulnes se distingue toujours par sa splendide porte cochère ouvragée de têtes de lions et de guirlandes.
Nous pouvons finir notre promenade ici ou bien choisir de la poursuivre avec celle de la rue des Rosiers. Pour celà, revenir rue des Archives et tourner à gauche dans la rue des Francs-Bourgeois, jusqu'à la rue Vieille du Temple.
Texte / Photos : Martine Combes
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