Hora fugit - Un peu de Paris
Pour cette promenade, je n’ai trouvé que peu de photos prises par Atget. Cependant, en suivant ses pas nous pourrons aborder trois thèmes emblématiques de ce quartier :
- les regards aménagés le long de l’aqueduc de Belleville qui permettaient la distribution des eaux ainsi que la surveillance et la réparation du réseau souterrain
- le prolétariat ouvrier, avec notamment la Coopérative et la Maison du Peuple la Bellevilloise, rue Boyer
- la Commune, rue Haxo, où se joua un des derniers épisodes de l’insurrection communarde.
Nous emprunterons aussi un grand nombre de petits îlots de verdure et de campagne en plein Paris. Certains, comme la Cité Leroy, ont dû lutter pour conserver et valoriser leur environnement. Nous pourrons constater, dès notre arrivée place des Fêtes, le résultat d’une urbanisation massive qui a transformé tout ce quartier, notamment dans les années 70. Le très net souci de rentabilité a visiblement conduit à des aberrations architecturales, faisant irrémédiablement disparaître le cadre populaire du vieux village de Belleville sous un bétonnage impitoyable.
Chaque année en mai, les ateliers d’artistes de Belleville ouvrent leurs portes au public et c’est en plus de leur intérêt artistique, une opportunité de voir encore quelques cours au charme suranné qui peuvent nous donner un aperçu de ce qu’était autrefois ce vieux bourg de village.
Nous partirons de la station de métro Place des Fêtes. Nous commencerons à parcourir en surface le réseau d’aqueduc de Belleville en commençant par le regard de la Lanterne, rue Augustin Thiery, nous continuerons par la rue des Solitaires, la rue de la Palestine, puis nous rejoindrons la rue des Cascades où nous verrons deux anciens regards.
Nous rejoindrons la rue Boyer où se trouve la Bellevilloise. Je conseillerais de faire cette promenade le week-end afin de mieux profiter de cet endroit préservé de l’emprise des promoteurs immobiliers. Dans cet espace qui offre terrasses et cafés, des concerts et diverses rencontres thématiques y sont régulièrement organisés.
Pour rejoindre la rue Haxo, nous passerons par plusieurs passages, villa de l’Ermitage, Cité Leroy, Villa du Borrégo. Nous continuerons par d’autres coins de campagne, passage du Monténégro, rue Paul de Kock et rue Emile Desvaux, avant de terminer notre promenade à la station de métro Télégraphe.
En sortant du métro Place des Fêtes, prendre la rue Petitot, continuer par la rue Augustin Thierry pour rejoindre le jardin du regard de la Lanterne.
Vestiges encore visibles d’un réseau ancien d'approvisionnement de Paris en eau, les regards étaient aménagés au-dessus des conduites d'eau, afin d’en permettre la surveillance et la maintenance. L’aqueduc de Belleville qui drainait les eaux du versant sud de la colline de Belleville commençait au regard de la Lanterne, classé monument historique. Construit au XVIème siècle en pierres de taille, cet ouvrage spectaculaire possède un bassin de décantation où étaient amenées les eaux dirigées ensuite vers l’aqueduc. Les journées du patrimoine peuvent être l’occasion de le visiter.
Reprenons la rue Petitot et continuons tout droit rue des Solitaires.
L’aqueduc qui acheminait l’eau vers le centre de la ville comptait une quinzaine de regards, dont certains ne sont plus visibles. Le regard des Marais, photographié par Atget rue des Solitaires a été démoli en 1904.
Ancien regard des Marais
41, rue des Solitaires
Atget 1901
(Musée Carnavalet)
Prenons à gauche la rue de Palestine.
L’ancien regard du Chaudron photographié par Atget en 1901 était à son époque à l’extérieur. La photo qu’il a prise évoque tout à fait un coin de campagne avec le regard qui semble être une petite cabane au milieu de la verdure et contre laquelle se nichent un tonneau et un poulailler.
Le regard, encore visible dans la minuscule cour de l’immeuble du 6, rue de Palestine en occupe tout l’espace. Pour l’Ukrainien qui eut la gentillesse de me laisser entrer, le regard du Chaudron semblait constituer une mystérieuse bâtisse, vaguement incongrue dans ce petit espace. Son regard, à lui l’Ukrainien, témoignait d’un grand étonnement devant mon intérêt enthousiaste …
Poursuivons notre chemin rue de Palestine. L’arrière de l’église Saint-Baptiste se profile devant nous. L’église est relativement récente, de style néo-gothique en vogue au XIXème siècle. Au centre du bourg de Belleville, l’ancienne église alors entourée de son cimetière fut détruite en 1854. Le nouveau cimetière, l’actuel cimetière de Belleville, fut transféré sur l’ancien parc de Ménilmontant.
Traversons la rue de Belleville et prenons la rue de Jourdain jusqu’à la place des Grandes Rigoles. Ce nom comme celui des rues des Cascades, rue des Rigoles, rue de la Mare, rue de la Duée (qui signifiait une source jaillissante) rappellent la richesse en sources de Belleville.
Prenons à droite la rue Levert jusqu’à la place Henri Krasucki et prenons à gauche la rue des Cascades.
La promenade dans le quartier Bastille fait référence aux bandes de voyous surnommés les Apaches qui descendaient des quartiers de Belleville dans les années 1900 pour venir danser rue de Lappe. Ce milieu des Apaches est évoqué par le film de Jacques Becker, Casque d’Or, qui retrace le Belleville d’alors avec son monde ouvrier, représenté par le charpentier Manda (Serge Reggiani) et le monde des truands avec le caïd Leca (Claude Dauphin). C’est ici au 44, rue des Cascades, qu’ont été tournées les scènes qui se déroulent chez Leca, notamment quand la belle et blonde Marie, dit Casque d’Or, (Simone Signoret), vient chez lui pour essayer de faire évader de prison son amant Manda et Raymond (Raymond Buissière).
Le film s’achève sur la musique Le Temps des Cerises. Nom donné à l’espace culturel libertaire Louise Michel situé tout à côté au 42 ter. Ici, la référence est à l’esprit communautaire qui a marqué et marque encore ce quartier. Cette association, créée par Lucio Artabia a pour objectif de permettre à de jeunes artistes de s’exprimer hors des réseaux marchands.
Après la courbe de la rue, nous pouvons voir un regard au 42, rue des Cascades, au haut de la rue de Savies. Dès le XIIème siècle, les eaux de Belleville furent aussi captées pour l’usage des religieux du prieuré de Saint-Martin-des-Champs et pour l’alimentation du Temple situé à proximité du prieuré. La source qui jaillissait dans la rue des Savies sur un terrain qui leur appartenait était drainée et dirigée par une petite galerie vers le regard Saint-Martin d’où partait une conduite vers le Temple.
Ancien regard avec ancienne fontaine des religieux de Saint Martin-des-Champs
42, rue des Cascades
Atget - 1901
(BnF)
Un peu plus loin au 41, rue des Cascades, le regard de la Roquette est également visible en contrebas dans une cour.
Poursuivons jusqu’à la rue de Ménilmontant que nous prenons à gauche, puis à droite la rue Boyer.
Depuis 2006, la Bellevilloise offre un vaste espace de cafés et de terrasses où sont organisés concerts, évènements, marchés (livres, producteurs …), salons (comme le grand salon de l’art abordable).
L’endroit à l’origine était une coopérative crée en 1877 par des ouvriers mécaniciens. Leur devise d’alors a une résonnance toute actuelle : « Achat direct au producteur, vente directe au consommateur ». Outre la distribution de produits de consommation courante à prix réduits (épicerie, viande, charbon, quincaillerie), la coopérative proposait des activités sociales et culturelles ; On y trouvait ainsi un café, une bibliothèque, une caisse de solidarité, un patronage laïque.
L’ouverture d’une panification au 23 de la rue Boyer en 1892 marqua la première implantation de la Bellevilloise dans ce qui deviendra son fief. Début 1897, elle acquit ensuite un terrain du 19 au 25 de la rue, où elle ouvrit une charcuterie, puis en 1898, une buvette en rez-de-chaussée au 19.
En 1910, la coopérative fait construire les bâtiments au 19-21 de la rue Boyer : la Maison du Peuple. Son succès fut tel qu’elle regroupa jusqu’à près de dix mille sociétaires en 1914. Passée chez les communistes en 1924, elle célébra son cinquantième anniversaire en faisant construire un immeuble en briques au 25, qui porte la devise Science et Travail ainsi qu’une représentation de la faucille et du marteau.
Puis avec la crise des années 1930, la Bellevilloise commença à péricliter. Chacun des bâtiments sera vendu et connaîtra des utilisations différentes au cours des années: fabrique de sacs et de cartables, école de danse, organisme de prévoyance, … jusqu’à leur reprise en 2000 pour en faire un lieu un rien branché à l’ambiance décontractée.
Ces superbes photos de marchand de vin prises par Atget m’évoquent ce texte du Ventre de Paris d’Emile Zola:
« Les glaces claires laissaient voir la salle, ornée de guirlandes de feuillages, de pampres et de grappes, sur un fond vert tendre. … Mais le comptoir surtout, à droite, était très riche, avec son large reflet d’argent poli. Le zinc retombant sur le soubassement de marbre blanc et rouge, en une haute bordure gondolée, l’entourait d’une moire, d’une nappe de métal, comme un maître-autel chargé de ses broderies. A l’un des bouts, les théières de porcelaine pour le vin chaud et le punch, cerclées de cuivre, dormaient sur le fourneau à gaz ; à l’autre bout, une fontaine de marbre, très élevée, très sculptée, laissait tomber perpétuellement dans une cuvette un fil d’eau si continu, qu’il semblait immobile ; et, au milieu, au centre des trois pentes du zinc, se creusait un bassin à rafraîchir et à rincer, où des litres entamés alignaient leurs cols verdâtres. Puis l’armée des verres, rangés par bandes, occupaient les deux côtés ; les petits verres pour l’eau-de-vie, les gobelets épais pour les canons, les coupes pour les fruits, les verres à absinthe, les chopes, les grands verres à pied, tous renversés, le cul en l’air, reflétant dans leur pâleur les luisants du comptoir. »
Faisons demi-tour , traversons la rue de Ménilmontant et prenons en face la rue de l’Ermitage. Au niveau du 14-16 de la rue, prenons à droite la villa de l’Ermitage.
Cette voie serpente du 14/16 de la rue de l’Ermitage jusqu’au 313 de la rue des Pyrénées, où elle rejoint la cité Leroy. Les pavés verdis par l’herbe, la végétation, les volets colorés, les petits jardins donnent résolument une note champêtre à la promenade.
Arrivés dans la rue des Pyrénées, tournons à gauche dans la cité Leroy, autre coin de campagne qui a failli disparaître en 1993 pour faire place à un grand ensemble de cent-trente logements. Grâce à la mobilisation de ses habitants et de leurs démarches auprès de la Ville de Paris et de la mairie du XXème, le projet fut heureusement abandonné.
Revenons rue des Pyrénées à gauche jusqu’à la jolie place du Guignier, prenons à droite la rue du Guignier, puis la rue des Rigoles à droite. Prenons à gauche la rue Pixérécourt, puis à droite le passage de la Duée. Autrefois c’était une ruelle, un des derniers vestiges de sentier campagnard qui faisait partie des voies les plus étroites de Paris. Depuis les travaux de restructuration en 2000, la venelle étroite de quelques 80 cm a autant perdu de son charme qu’elle s’est élargie à plusieurs mètres de large.
Place du Guignier
Tournons à gauche rue de la Duée. Nous passons devant le 27 où autrefois la ligue de la Régénération humaine eut son siège de 1900 à 1908. Elle avait pour mission de convaincre les classes populaires de limiter volontairement le nombre de leurs enfants pour ainsi mieux assurer leur survie économique. Pour cela elle organisait des conférences publiques et diffusait des brochures pour enseigner les méthodes contraceptives. Dissoute en 1908, elle fit place au groupe de Génération consciente jusqu’en 1920, date à laquelle une loi interdit toute propagande anticonceptionnelle.
Traversons la rue Pelleport pour nous engager dans la rue du Borrégo. Devant le 18, nous passons devant un magasin fournissant des produits en provenance directe de fermes et de producteurs situés à moins de 200 km de Paris. Tiens, tiens, vous vous souvenez du slogan de la Bellevilloise il y a plus de cent ans ? « Achat direct au producteur, vente directe au consommateur ». Exactement celui de ce magasin : « se fournir localement permet de garder des prix bas pour les consommateurs, en restant solidaire des petits producteurs » .
Au 33, la villa du Borrégo aligne des petites maisons aux allures tranquilles. Plus loin, un certain charme se dégage aussi de la villa Amélie. Nous arrivons rue Haxo que nous prenons à gauche.
Lors de la semaine sanglante qui mit fin à la Commune le 29 mai 1871, des combats acharnés opposèrent les Communards aux troupes versaillaises. La villa des Otages rappelle un des derniers épisodes de cette violente semaine lorsque le vendredi 26 mai, cinquante détenus, pour la plupart des prêtres, des Gardes de Paris et des gendarmes furent transférés de la prison de la Roquette à la limite des fortifications, au 85 rue Haxo où ils furent exécutés par les Communards.
En 1872, le terrain s'étendant entre le 83, rue Haxo et le 55, rue du Borrégo fut acquis par des pères Jésuites souhaitant maintenir le souvenir de cet évènement un peu oublié désormais. L’église de Notre-Dame des Otages fut construite plus tard entre 1936 et 1938. Dans une cour située à l'arrière de l'église, on peut y voir un monument souvenir reposant sur un fragment de mur contre lequel furent alignés les otages ainsi qu’une porte de la cellule de la prison de la Roquette où furent enfermés trois pères jésuites.
Au 85, rue Haxo, de la villa des Otages ne subsiste plus que le nom d’une voie privée au fond de laquelle se trouve le mur contre lequel les otages furent fusillés.
Continuons rue Haxo jusqu’au passage du Monténégro à gauche. Rue de Romainville, prenons à droite pour achever notre promenade dans le triangle formé par les rues Emile Desvaux et rue Paul de Kock bordées de maisons et de leurs jardinets. Nous rejoindrons enfin la station de métro Télégraphe devant le cimetière de Belleville par la rue de Romainville. C’est dans ce cimetière que les otages de la rue Haxo reposent sous un monument. Un mémorial évoque également la Commune de Paris.
La station de métro est très en profondeur car nous sommes ici sur le deuxième site le plus élevé de Paris après Montmartre. Le nom de la station rappelle que c’est ici que Claude Chappe a expérimenté son télégraphe optique qui annonça aux Parisiens les victoires de Fleurus et de Jemmapes en 1792.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans faire référence au street art omniprésent dans ce quartier. Des visites spécialisées y sont régulièrement organisées.
Texte / Photos : Martine Combes
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