Bastille - Quartier Saint-Antoine
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Depuis la quasi-disparition des ébénistes, bronziers, doreurs, miroitiers et celle aussi des ouvriers de la petite métallurgie qui animaient les ateliers installés dans les multiples cours et passages du quartier et leur remplacement par des designers, des architectes et des conseillers en communication, on parle plutôt aujourd’hui du quartier de la Bastille.
Il va sans dire que les photos prises par Atget d’un quartier essentiellement ouvrier à son époque sont celles d’un monde révolu dont les quelques commerces ici et là d’ébénistes, de quincaillerie et de passementeries témoignent encore plus fortement de ce qui n’est plus.
Sans vouloir montrer trop de nostalgie passéiste, il est cependant assez poignant de constater dans certains passages l’existence d’anciens ateliers, de vieilles enseignes et parfois d’une cheminée d’usine qui en pâles fantômes nous rappellent toute une industrie du meuble établie depuis le Moyen-âge et maintenue jusqu’à la fin du XXème siècle.
Ce sentiment de nostalgie est cependant contre balancé par la vision stimulante d’une jeune énergie de graphistes, d’informaticiens et d’architectes qui ont pris place dans les anciens ateliers. Ce sentiment est également adouci par le charme émanant des calmes passages très souvent fleuris et à l’écart de la circulation. Les rues sont ponctuées de cafés et de restaurants modernes et avenants qui permettent aussi de confortables haltes.
Nous partirons de la rue du faubourg Saint-Antoine, pour rejoindre le vivant marché d’Aligre,
nous passerons dans des lieux témoins du Paris révolutionnaire, non seulement celui de 1789,
mais aussi celui de 1830, 1848 et de la Commune ;
nous emprunterons des cours et des passages aux noms anciens : la Main d’Or, la Bonne Graine, ...
nous traverserons la rue de Lappe, autrefois fief des Auvergnats et aujourd’hui
le lieu de rencontre des fêtards et des noctambules attirés par les nombreux bars et leurs multiples ambiances musicales ;
nous terminerons place de la Bastille, curieuse synthèse du souvenir Révolutionnaire et du répertoire
plus classique offert par l’Opéra Bastille.
Rue du Faubourg-Saint-Antoine
Ce vieil axe étroit qui relie la Bastille à la Nation est séparé depuis Haussmann entre les arrondissements du 11ème du côté des numéros impairs et du 12ème. Prolongeant la rue Saint-Antoine au-delà des murs de Paris, il était autrefois l’artère centrale du faubourg Saint-Antoine qui s’est développé grâce à l’influence des abbesses, ces « Dames du Faubourg » dont Jean Diwo parle si bien dans son roman.
En sortant du métro Faidherbe-Chaligny, nous avons sur notre droite l’hôpital Saint-Antoine construit sur l’emplacement de l’Abbaye
de Saint-Antoine des Champs fondée au 12ème siècle.
Devenue abbaye royale sous Saint-Louis, elle prit au cours des siècles une très grande importance. Au 15ème siècle, par ordonnance
de Louis XI , l’enclos et les terres sous le contrôle de l’Abbesse devinrent territoires de libre travail pour les compagnons qui travaillaient à l’entretien du couvent. Ceci permit aux charpentiers et aux menuisiers qui
y travaillaient de pouvoir installer leurs ateliers tout près du port de la Râpée, à l’île Louviers (aujourd’hui rattachée à la berge) où était débarqué le bois destiné
à la construction des maisons et des meubles. Mais plus important, ceci permit aux artisans d’échapper à la tutelle rigide et contraignante des corporations. Sous la protection des Abbesses, ils développèrent de nouvelles
techniques et acquirent des savoirs-faires comme la marqueterie.
Devant nous s’élève la fontaine de Montreuil appelée aussi fontaine de la Petite Halle. Cette fontaine inaugurée en 1719 desservait une boucherie voisine, dite de la Petite Halle, établie depuis 1643 et tenue par les religieuses de l’abbaye de Saint-Antoine des Champs qui possédaient également le monopole de la vente de viande dans le faubourg. La boucherie et les bâtiments annexes que l’on voit sur la photo prise par Atget furent détruits en 1940. On voit désormais chacun des flancs de la fontaine carrée, depuis qu’elle est isolée de toutes parts.
Carrefour rue Faubourg Saint-Aintoine et rue de Montreuil
Continuons jusqu’au carrefour de la rue du Faubourg Saint-Antoine et de la rue de Montreuil.
A cet endroit se trouvait autrefois la manufacture de papiers peints Réveillon qui était installée
depuis 1765 sur le parc d’une ancienne folie. C’est dans les jardins de cette fabrique que furent assemblées les premières montgolfières et qu’en 1783, Pilâtre de Rozier effectua sa première ascension.
Plus tard en avril 1789, en un signe précurseur de la prise de la Bastille, une insurrection y éclata, malgré les idées progressistes de son patron qui versait déjà à l’époque des indemnités
de chômage à ses employés. Anticipant une proposition qu’il avait faite au gouvernement de supprimer les octrois, (taxes perçues sur les marchandises à l’entrée dans Paris), Reveillon annonca à ses
ouvriers une réduction de leur salaire dans une même proportion. Cette idée par trop libérale dans un quartier peuplé d’ouvriers et d’artisans ne fut guère acceptée et seule la baisse du salaire fut
alors entendue et comprise. La manufacture Réveillon fut incendiée, l’émeute qui s’étendit à tout le quartier fut très durement réprimée et fit de nombreuses victimes.
Faisons demi-tour et remontons la rue du Faubourg Saint-Antoine jusqu’à la rue d’Aligre pour rejoindre la place d’Aligre.
L’ombre de Baudelaire nous accompagne dans la rue à son nom toute proche …
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient
allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Le Cygne – Tableaux Parisiens – Les Fleurs du Mal (1859)
Place d'Aligre
Je vous recommande de débuter la promenade le matin, sauf le lundi, afin de pouvoir profiter du pittoresque marché Beauvau aussi appelé Aligre ainsi que de ses puces dont l’origine vient du privilège concédé aux marchands d’habits par l’abbesse de Saint-Antoine, Madame de Beauvau Craon, afin de permettre aux pauvres du faubourg d’acheter à bas prix de quoi se vêtir.
Le faubourg est connu pour ses insurrections, en commençant bien sûr par la prise de la Bastille. C’est ce qui lui vaudra d’être partagé par Haussmann en deux arrondissements pour mieux le contrôler. Nombre de barricades ont été élevées dans ce quartier qui présentait l’avantage de rues étroites et d’un grand nombre de passage facilitant le retranchement. Il reste aujourd’hui peu de traces matérielles de ce passé. Notez cependant l’existence du café associatif de la Commune libre au 3, place d’Aligre, en digne représentant et descendant des esprits frondeurs qui ont marqué ce quartier.
C’est un autre café qu’Atget a photographié en son temps, pour sa vieille enseigne en fer forgé. Là aussi, autre temps … La belle grappe de l’imposte a disparu, tout comme les grilles, seul subsiste un pâle souvenir dans le nom du café d’aujourd’hui…
Reprenons la rue d’Aligre, puis le faubourg Saint-Antoine à droite, puis à gauche la rue de la Forge Royale. Continuons par la rue Saint-Bernard jusqu’a’à l’église Sainte-Marguerite.
Eglise Sainte-Marguerite
L’église au charme un peu provincial qui donne sur un petit jardin a été édifiée sous Louis XIII.
Sous la Révolution, son cimetière a reçut les corps de
trois cents personnes ; tout d’abord de soixante treize guillotinés place de la Bastille, durant les trois jours où l’échafaud y fut dressé, avant son retrait en raison de la colère de ses habitants; puis
ceux guillotinés place de la Nation (à cette époque Place du Trône Renversé).
Une légende a couru sur la découverte du corps de Louis XVII, mort en 1795 au Temple, qui y aurait été enterré
selon le témoignage du fossoyeur. Des exhumations faites au XIXème siècle en démontrèrent la fausseté car les ossements retrouvés étaient ceux d’un adolescent de 15 à 18 ans alors que le
dauphin n’avait que dix ans à la date présumée de sa mort.
Le cimetière, désaffecté en 1806 et désormais fermé au public, conserve quelques tombes, comme celle
photographiée par Atget qui est celle de l’ébéniste parisien Georges Jacob (1768-1803), nommé Georges II Jacob ou Georges Jacob fils, afin de ne pas être confondu avec son père qui fonda la fameuse dynastie d'ébénistes.
La croix ancienne de 1777 que l’on voit sur la photo d’Atget prise de la rue Saint-Bernard domine dorénavant le cimetière.
Plusieurs passages ... passage Lhomme
Revenons sur nos pas rue Saint-Bernard puis prenons à droite la rue Charles Delescluze, figure emblématique de la Commune.
Empruntons le passage Saint-Bernard qui nous amène rue de Candie
que nous prenons à droite.
Poursuivons par la rue de la Main d’Or, où les deux vieux bistrots à vin dont l’un à l’enseigne « Bois, Charbons, Vins et Liqueurs » rappellent un peu ce qu’était
le vieux Faubourg.
Prenons à gauche le passage de la Main d’Or. L’étroit passage débouche rue du Faubourg Saint-Antoine que nous prenons à droite, avant de nous engager un peu plus loin au n° 117 dans
le passage de la Bonne Graine où se trouvait autrefois une graineterie qui a donné son nom à la voie.
Cette venelle nous permet de rejoindre les passages Josset et Lhomme qui eux-mêmes débouchent sur la rue
de Charonne.
Le passage Lhomme de ce côté-ci est fermé par digicode. Si vous ne parvenez pas à en franchir l’entrée, côté passage Josset, je vous conseille néanmoins d’y aller par la rue
de Charonne. Il a gardé beaucoup de charme. La cheminée d’une ancienne usine du XIXème siècle s’élève derrière d’anciens bâtiments. Même s’il n’a plus rien d’artisanal,
la présence des vélos, des pavés et des pots de fleurs en fait un véritable havre de paix.
Les fans de Cédric Klapish feront une halte au Pause Café où se situent quelques scènes du film Chacun cherche son chat, entièrement tourné dans le quartier.
De la rue de Charonne, prenons la rue des Taillandiers à gauche. Le nom de la rue rappelle le passé de la petite métallurgie qui était également exercée dans le quartier. Les taillandiers étaient des artisans
spécialisés dans la fabrication d’outils tranchants.
Tournons à droite rue de la Roquette.
Passage Thiéré
Profitant des privilèges accordés sous le règne de Louis XIV aux artisans établis dans cette zone franche, beaucoup s'y installèrent pour exercer le travail du fer indispensable aux nombreux mensuisiers et ébénistes. Au milieu du XIXème siècle, de nombreux auvergnats s'installèrent dans ce quartier et occupèrent la plupart des ateliers et des boutiques de ferrailleurs, de ferblantiers et de chaudronniers.
Au 13, passage Thiéré un tennis en plein air a remplacé les immeubles qui bordaient autrefois le côté droit de la cour du n°11. La cour a gardé ses pavés envahis par l’herbe et la maison du fond est toujours là en fidèle sentinelle. Mais plus rien n’évoque la vie artisanale qui émane de la photo prise par Atget … aujourd’hui, les vélos, les pavés et la verdure évoquent plutôt une image bucolique de village …
La photo prise par Atget de cet hôtel Sainte-Anne, mère des Compagnons Charpentiers, nous rappelle également que les charpentiers étaient également très présents dans le faubourg. Le jour de la Saint-Joseph, leur saint patron, ils y défilaient avec le chef-d’œuvre au centre de la procession traditionnelle. A leurs oreilles brillaient des anneaux d'or soutenant un petit compas ou une équerre, symboles emblématiques de leur métier que l’on peut voir au centre de l’enseigne de l’hôtel photographié par Atget.
Empruntons maintenant le passage Louis-Philippe au 27, passage Thiéré qui aboutit au 21, rue de Lappe.
Rue de Lappe
Comme le passage Thiéré et la rue de la Roquette voisine, la rue de Lappe était le fief des Auvergnats, ce qui valut à ce quartier d’être longtemps surnommé la petite
Auvergne.
Le dimanche, ils se retrouvaient dans des bals où l’on dansait la bourrée au son de la musette, instrument à vent en peau de chèvre analogue à une cornemuse, comme dans cet établissement photographié
par Atget, au joueur de biniou.
Puis, l’accordéon fit son apparition, remplaça le biniou et les bourrées cédèrent la place à la java et au tango que l’on dansait
dans des bals populaires appelés les bals musette.
On a gardé de cette époque le souvenir des bandes d’apaches et de marlous accompagnés de leurs gigolettes, descendus des quartiers de Ménilmontant et de Belleville
pour venir danser rue de Lappe.
La rue en a gardé longtemps une mauvaise réputation, qu’elle a encore pour bien des Parisiens. Cependant, les vendredis et samedis soirs, elle est envahie par une cohue de jeunes attirés par
les ambiances de musiques latines, cubaines, antillaises et africaines que déversent les nombreux bars et discothèques.
L’enseigne Au Lion d’Or est aussi un classique des noms d’auberges d’autrefois qui sonne comme un vrai calembour : au lit on dort …
Tout a disparu, le magasin, la grille et l’enseigne. Seule subsiste l’imposte au dessus de la porte d’entrée de l’immeuble …
Bien évidemment plus de trace de la tôlerie remplacée aujourd’hui par le premier restaurant cubain crée à Paris en 1997.
Par contre le bal dont
on voit l’enseigne à gauche sur la photo prise par Atget est l’ancêtre de celui qui allait devenir le plus célèbre des bals musette, le Balajo au n°9.
En 1936, un certain Jo France rouvrit le bal Vernet,
que son ancien propriétaire avait vendu après l’assassinat d’une prostituée dans l’hôtel situé au dessus de la salle de danse. L’établissement a gardé sa belle décoration de gratte-ciel
et son plafond bleu nuit constellé d’étoiles réalisée par le peintre Henri Mahé qui décora aussi le cinéma Rex et le Moulin Rouge.
Il a aussi conservé sa tradition du bal musette donné
chaque dimanche après-midi, parenthèse aux autres danses plus actuelles jouées le soir.
Je ne sais si mon grand-père Jean, qui a passé son enfance rue de la Roquette et dont les
parents venaient de Saint-Poncy, une petite commune du Cantal, y venait danser, mais je l’imagine très bien, tout jeune avec Madeleine, danser une valse musette, dans un petit bal perdu, les yeux au fond des yeux, comme le chantait si bien Bourvil.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C´est qu´ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c´était bien
Et c´était bien
Cour Saint-Louis
De façon plutôt inattendue dans cette rue, on peut découvrir, derrière la porte du 26, la cour Saint-Louis au charme très bucolique, si l’on parvient toutefois à s’engouffrer derrière un habitué des lieux protégés par digicode.
Remontons la rue de Lappe où nous pourrons nous arrêter aux Produits d’Auvergne, au n°6, magasin plus que centenaire, créé en 1870 qui vend des charcuteries et fromages du Cantal. Difficile de résister à la vue et à l’alléchante odeur exhalée par les saucisses, saucissons et fromages …
Cour Damoye
Traversons la rue de la Roquette pour rejoindre la rue Daval où s’ouvre la si jolie cour Damoye. On est tout d’abord frappés par la douce tranquillité qui émane de cette longue allée pavée rythmée par les délicates plantes grimpantes qui s’enroulent le long des façades. Puis ce que l’on pense n’être de prime abord qu’une charmante bulle du passé se révèle être aussi un lieu moderne, tant dans les activités tertiaires entrevues derrière les baies des rez-de-chaussée que dans la subtile rénovation des locaux et des ateliers.
Le contraste est saisissant quand nous sortons du calme passage et que nous débouchons sur la place de la Bastille à la dense circulation.
Place de la Bastille
Depuis la construction de l’Opéra Bastille et la disparition des artisans du meuble, les Parisiens ne font quasiment plus référence au faubourg Saint-Antoine, débaptisé tout simplement
au profit de « la Bastille ».
L’Opéra voulu par François Mitterrand et inauguré en juillet 1989 lors des fêtes du bicentenaire de la Révolution a inscrit un nouvel espace de culture et de
prestige dans un quartier longtemps marqué par l’artisanat et les soubresauts populaires. Le phénomène d’embourgeoisement et de gentrification apparu dans le quartier du Marais tout proche a également touché la
Bastille dont le passage Darmoye est un exemple très abouti.
C‘est ici que notre promenade s’achève. Cependant avant que de reprendre le métro Bastille qui est à deux pas, si vous avez encore quelque temps, vous pourrez faire une dernière visite dans le passage du Cheval–Blanc qui s’ouvre au n°2 de la rue de la Roquette.
Année 2016 - Texte et photos: Martine Combes
Quinton
Que de nostalgie .J'ai été arpet ou potacolle et j'ai travaillé au 120 de la rue de Charonne de septembre 1950 à 1955. je suis allé à l'école rue Faidherbe.
Roseline Périot
Bravo pour cette promenade historique dans le quartier St Antoine / Bastille autrefois voué à l'artisanat et aujourd'hui métamorphosé avec encore des ruelles et passages pleins de charme.