CHARONNE, LA CAMPAGNE A PARIS
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Autrefois hameau isolé et perdu au milieu des vignes jusqu’à son annexion à Paris en 1860, le quartier de Charonne a encore aujourd’hui quelques airs de bourg qui évoquent encore la campagne même s’il a bien évidemment connu le percement de nouvelles rues ou avenues et le remplacement de ses vénérables maisons par des immeubles modernes.
Cette campagne d’autrefois qu'il est bien difficile d'imaginer aujourd'hui est évoquée par Jean-Jacques Rousseau dans ses Mémoires d’un promeneur solitaire :
Le jeudi 24 Octobre 1776, je suivis après dîné les boulevards jusqu’à la rue du Chemin-verd par laquelle je gagnai les hauteurs de Ménilmontant, et de-là, prenant les sentiers à travers les vignes et les prairies, je traversai jusqu’à Charonne le riant paysage qui sépare ces deux villages; puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies en prenant un autre chemin. Je mʼamusais à les parcourir avec ce plaisir et cet intérêt que mʼont toujours donnés les sites agréables, et mʼarrêtant quelquefois à fixer des plantes dans la verdure. Jʼ en aperçus deux que je voyais assez rarement autour de Paris et que je trouvai très abondantes dans ce canton-là.
Il s'agit de la picride fausse éparvière et le puplèvre en faux Peut-être poussent-elles dans le Jardin Naturel, par lequel je débute cette promenade et où poussent naturellement près de deux cents espèces végétales propre au Bassin Parisien.
Après
le Jardin Naturel, nous atteindrons la rue Saint-Blaise qui nous amènera au cœur du vieux village de Charonne où nous nous arrêterons dans un autre jardin très bucolique, calme et environné de maisons anciennes, propice
au repos à l’ombre d’une pergola.
Puis nous visiterons le Pavillon de l’Ermitage,
une ancienne folie construite en 1727 dans un parc de 80 hectares, désormais seul vestige du château de Bagnolet.
Et enfin nous terminerons par un quartier bien dans le thème de notre promenade à Paris,
la Campagne à Paris.
C’est ainsi qu’en suivant la rue de Bagnolet, nous partirons d’un sous-bois …
pour rejoindre des rues bordées de lilas …
Villa Riberolle
Nous partons de la station de métro Alexandre Dumas ou de l’arrêt de bus Charonne Bagnolet de la ligne 76, pour prendre la rue de Bagnolet jusqu’à la rue de la Réunion que nous prendrons à gauche pour entrer dans le Jardin Naturel Pierre Emmanuel.
Au préalable, sur le chemin, au niveau du 35, rue de Bagnolet nous pourrons faire un saut dans le passé Villa Riberolle qui a encore gardé des vieilles bâtisses qui abritaient autrefois des ateliers.
Autre témoin de l’activité industrielle qui a fortement marqué Charonne dès la fin du 19ème siècle, cette enseigne au 49, rue de Bagnolet, d'autant plus originale qu’elle marque une collaboration franco-américaine. L’entreprise était spécialisée dans l’apprêt de poils de lapins et de lièvres transformé en feutre qui était ensuite découpé pour confectionner des chapeaux. J’en ai retrouvé l’histoire dans un blog relatant le Paris industriel Et de même que l’établissement parisien mentionnait l’établissement new-yorkais, celui de Brooklyn rappelait l’existence de Pellissier Jeunes & Rivet en tant que Cutters of hatter’s furs in Paris.
Sur le chemin avant de tourner à gauche dans la rue de la Réunion, deux belles et intéressantes librairies aux 51 et 61 rue de Bagnolet …
Le Jardin Naturel Pierre Emmanuel
En contrebas du cimetière du Père Lachaise, cet espace vert est très particulier car il regroupe la flore et la faune du bassin de l’Ile de France. On peut ainsi y voir des plantes sauvages qui prospéraient autrefois lorsque la campagne était encore à Paris et on peut entendre le chant des merles et des mésanges et celui reconnu grâce à mon application pour smartphone, du troglodyte mignon. Ce jardin totalement écologique, crée en 1996, abrite ainsi une prairie naturelle, une mare et un sous-bois sur 6000 mètres carrés. C’est un espace très calme, les enfants ayant leur espace réservé de l’autre côté de la rue de Lesseps.
Dans son livre L’arbre et le vent – Feuilles volantes 1980-1981, Pierre Emmanuel observa avec acuité et clairvoyance la société occidentale où notre espace ordinaire n'est que bruit enfermé dans un mur d'images. La nature elle-même est polluée
par le bruit. Le bruit tue le silence intérieur, rend le discernement impossible. Notre profondeur, comme celle des mers, devient impropre à toute vie.
Le Jardin Naturel Pierre Emmanuel est un rare lieu de Paris qui offre au
citadin ce précieux silence simplement festonné de chants d’oiseaux dans une nature rendue à l’état sauvage. La présence discrète de quelques tombes derrière le mur septentrional du jardin peut également
conférer à ce silence une dimension spirituelle pouvant amener l’âme du promeneur dans un état contemplatif bien recherché par le journaliste, poète et académicien Pierre Emmanuel.
Sortons du jardin par la rue de Lesseps et rejoignons la rue de Bagnolet.
La Petite Ceinture - 102bis, rue de Bagnolet
Nous passons au n°85, rue de Bagnolet devant la villa Godin, protégée par un portail.
A la fin du 19ème siècle, Paris s’est entouré d’un chemin de
fer, d’où son nom de Petite Ceinture, construit de 1852 à 1867 par huit
compagnies privées différentes.
Il permit également de relier au centre de Paris la population des nouveaux quartiers annexés à Paris, comme celle du petit village de Charonne et celui de Belleville quand le métro
n’existait pas encore. C’est d’ailleurs celui-ci qui causa la fermeture du trafic voyageur de la Petite Ceinture en 1934.
Après de graves menaces qui ont failli amener sa disparition, elle fait aujourd’hui l’objet
d’attentions particulières, grâce à l’intervention de son association
visant à sa sauvegarde et à celle de la SNCF, toujours propriétaire et qui en assure un entretien régulier. Des sections aménagées par la Ville de Paris sont désormais ouvertes au public.
D’abord réservée aux marchandises, la petite gare de Charonne fut inaugurée en 1856 puis elle fut ouverte six ans plus tard au transport des voyageurs.
C’est en mai 1995, que dix étudiants des Beaux-arts
investirent la gare désaffectée de Charonne pour en faire un lieu de concerts de rock et électro, la Flèche d’Or. Après son heure de gloire dans les années 2000, la salle a fermé ses portes en
décembre 2016.
Traversons la rue des Pyrénées qui mène à Belleville où
nous nous sommes déjà promenés. Nous nous étions arrêtés rue des Cascades, devant la maison où Jacques Becker avait tourné quelques scènes de son film Casque d’Or, inspiré de la véritable
histoire d’Amélie Elie. Prostituée dès son plus jeune âge, Amélie rencontre en 1902 un jeune chef de bande Manda, puis le trompe avec Leca, déclenchant ainsi une guerre entre les deux bandes. Blessé
de deux balles au bras et à la cuisse, Leca se fait soigner à l’hôpital Tenon, rue de la Chine où naitra plus tard Edith Piaf.
C’est à peu près ici, à ce carrefour avec la rue des Pyrénées,
que le 6 mars 1902, la bande de Manda réattaque le blessé à sa sortie de l’hôpital en faisant ainsi la une des journaux. Aussitôt, le fait divers fera naître la légende de Casque d’Or et l’article
du journaliste Dupin celui du terme d’Apache pour désigner les petits truands: « Ce sont là des mœurs d’Apaches, du Far West, indignes de notre civilisation. Pendant une demi-heure, en plein Paris, en plein après-midi,
deux bandes rivales se sont battues pour une fille des fortifs, une blonde au haut chignon, coiffée à la chien ! »
Square des Grès
Continuons par la rue de Bagnolet jusqu’à la rue Florian, puis à gauche la rue Pierre Bonnard et en face le passage des Deux Portes. Arrivés rue Saint-Blaise, nous avons à gauche une belle perspective sur l’église Saint-Germain de Charonne dont le vieux clocher de village surmonte la rue à l’allure campagnarde. Mais, pour le moment, nous allons tourner à droite dans la rue Saint-Blaise et faire un petit détour par le square des Grès qui abrite un ravissant petit jardin qui sent bon le bassin Parisien, complètement à l’arrière de la place des Grès. A l’entrée du square, au fond d’une cour de vieilles maisons avec une table, deux chaises de jardin et des arbres, à la grâce préservée.
Ce jardin public, quasiment invisible de la place des Grès qui doit son nom à un ancien dépôt de pavés offre un cadre de verdure incroyablement calme et dégage un air de campagne avec ses treilles fleuries de glycines, de chèvrefeuilles et de rosiers grimpants. Ce charme est renforcé par la présence des vieilles maisons basses qui encadrent le square, fortement en contraste avec les hauts immeubles modernes qui nous rappellent que nous sommes bien en ville, dans un quartier au dense tissu urbain.
Extrayons-nous de la douce torpeur que nous partagions à l’ombre des pergolas avec quelques chats du voisinage pour rejoindre la rue Saint-Blaise.
Rue Saint-Blaise
Nous remontons maintenant cette rue qui a le charme d’une petite rue provinciale.
Non seulement habité autrefois par des ouvriers et des artisans, le quartier fut aussi le lieu de villégiature
de nobles et de bourgeois attirés par la verte tranquillité du petit village de Charonne.
Ainsi, au 5 rue Saint-Blaise, cette maison de style Louis XV photographiée par Atget fut celle de Camus de Mézières, architecte
du XVIIIème siècle qui conçut la Halle au Blé du quartier des Halles (remplacée par la Bourse de Commerce) ainsi que l’hôtel de Beauvau, où se trouve aujourd’hui le ministère de l’Intérieur.
Bien que la façade ait été jugée suffisamment intéressante pour être inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, elle fut cependant démolie en 1929. A l’emplacement
de l’ancienne cour, on peut voir l’église Saint-Cyrille et Saint-Méthode construite en 1935 et accessible rue de Bagnolet, en face de l’église Saint-Germain de Charonne.
Eglise Saint-Germain de Charonne
La très belle photo prise par Atget semble être celle d’une église de campagne, encore entourée de son cimetière. Avec Saint-Pierre de Montmartre, c’est la seule église
de Paris a avoir conservé son cimetière paroissial. Tous les autres ont été transférés au cours des 18ème et 19ème siècles dans les nouveaux cimetières du Père-Lachaise
et de Montparnasse, alors à l’extérieur de Paris, et leurs ossements transférés dans les catacombes de Denfert-Rochereau.
Si le clocher trapu du XIIème siècle semble être un peu disproportionné
par rapport à l’église, la raison en est qu’un incendie a détruit au XVIIIème siècle une grande partie de sa nef, réduisant ainsi l’édifice de moitié. Les marches qui y conduisent ont
été ajoutées au XIXème siècle lors de l’arasement de la rue de Bagnolet alors trop pentue pour les chevaux qui devaient tirer de lourdes carrioles de pierres nécessaires à la construction des fortifications.
C’est sur ce porche que se termine le film culte de Georges Lautner, Les Tontons Flingueurs, avec le mariage de Mademoiselle Patricia et de Monsieur Antoine (Claude Rich).Pierre Blanchar qui a joué son dernier rôle pour Georges
Lautner dans le Monocle Noir est enterré dans le cimetière qui abrite plus de 650 sépultures. On peut aussi y voir la statue d’un homme coiffé d’un bicorne, celle de d’un dénommé François-Eloy
Bègue, dit le Père Magloire. Un peu mythomane, ce citoyen qui se fit élever cette statue aimait à se faire passer pour le secrétaire de Robespierre; et aussi assez bon vivant pour être enterré dit-on avec une
bouteille de vin.
Pavillon de l'Ermitage - 148, rue de Bagnolet
Le pavillon de l’Ermitage, une ancienne folie bâtie du temps de la régence peut se visiter les après-midi du jeudi au dimanche.
Il faisait partie du château de Bagnolet, racheté
par le Régent en 1719 et qui devint la résidence favorite de sa femme, la duchesse d’Orléans, fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. Il fut ensuite transmis à Louis 1er d’Orléans, dit Le Pieux, puis à
Louis-Philippe d’Orléans, dit Le Gros qui morcela le domaine et le vendit vers 1770.
Le pavillon devint par la suite une maison particulière et est aujourd’hui le seul bâtiment qui subsiste du château de Bagnolet.
Ce nom de l’ermitage proviendrait de peintures murales en grisaille dont trois d’entre elles ont été conservées et qui représentent des saints-ermites.
Le Baron de Batz acquit en 1787 cette propriété,
qui de par son éloignement de Paris, devint plus tard sous la Révolution un endroit idéal pour le conspirateur qui prépara le sauvetage de Louis XVI, lors de son transfert du Temple à l’échafaud ( voir aussi
notre promenade du Sentier - angle rues Beauregard, Cléry et Chénier). Il fut assez habile pour sauver sa
tête, mais sa maitresse, moins chanceuse, y fut arrêtée.
Plus tard, en 1887, le pavillon fut vendu à l’Assistance Publique qui y logeait les administrateurs et divers services de l’hospice Debrousse, situé
tout à côté. Restauré en grande partie en 1987, il est ouvert au public depuis 2005 grâce à l’association des amis de l’Ermitage qui y organise également des expositions temporaires.
La Campagne à Paris - Rues Jules Siegfried, Paul Strauss
Continuons par la rue de Bagnolet jusqu’à la rue de la Py à gauche. Puis prenons la rue Martin Garat à droite, puis à droite la rue Géo Chavez où nous montons les escaliers de la rue du Père Prosper-Enfantin qui nous mène dans un petit quartier, dit de la Campagne à Paris.
La butte où nous sommes est une ancienne carrière de gypse ensevelie sous une
montagne de gravats accumulés lors des percées haussmanniennes des avenues de la République et Gambetta.
Ce terrain très instable fut la contrainte majeure pour Pierre Botrel, l’un des architectes de cet ensemble de
maisonnettes. D’autres contraintes, très strictes et très modernes pour l’époque, lui furent imposées par le promoteur, la Société coopérative de la Campagne à Paris, créée en
1907: chacun des logements pour la centaine de sociétaires, des ouvriers et des employés pour la plupart, devaient comprendre outre une cuisine, une salle à manger et plusieurs chambres, mais aussi des w-c, une salle de bains, l’eau
courante et le tout-à-l’égout.
Les premiers pavillons datent de 1914, puis après une mise en sommeil de la construction due à la guerre et aux difficultés économiques, le lotissement fut finalement terminé
en 1928. Chacun des sociétaires avait acheté une part du capital permettant l’acquisition d’un terrain et le lotissement fut financé par des emprunts publics mis en place grâce à de nouvelles lois favorisant
le logement social. Deux rues honorent deux sénateurs extrêmement engagés dans l’aide aux plus démunis et qui portèrent ces lois: Paul Strauss et Jules Siegfried.
Aujourd’hui,
la population a changé, car pouvoir profiter de la Campagne à Paris est un petit luxe, mais ici rien de clinquant, au contraire.
Georges Perec qui aimait Paris, les mots et les jeux avait inventé des déambulations alphabétiques
où par exemple les noms de rues devaient commencer par les mêmes lettres. Peut-être aurait-il apprécié que la petite rue en escaliers qui porte son nom est aussi le plus petit trajet pour aller de la rue Paul Strauss à
la rue Jules Siegfried.
Vous pourrez trouver ces exercices ainsi que vingt grilles de mots-croisés (pas faciles) pour chacun des arrondissements dans le recueil Perec/rinations.
Notre promenade s’arrête ici. Vous pourrez rejoindre la station de métro Porte de Bagnolet en revenant par la rue Géo Chavez. Vous y trouverez également les lignes de bus 102 - 76 - 57.
Année 2017 - Texte et photos: Martine Combes
Derniers commentaires
C'est à nouveau un merveilleux voyage du Palais Royal à la Butte Montmartre... Merci Martine pour ces belles découvertes!
I hope I will have the time to run the course next weekend when im in Paris as a turist from denmark
L'enseigne de la Galerie du Chat était au 27, rue de Bièvre, magasin d'articles ayant pour thème le chat. L'enseigne a disparu depuis que le magasin a
déménagé au 68, bv de Port Royal.
Bonjour, je suis a la recherche de la rue de l´enseigne "la galerie du chat". Est-ce une galerie ou un restaurant-café ? L´enseigne correspond-elle a un lieu encore existant ? Merci à l´avance . Ma